L’intéressant des comptes 2010 de la Société Générale publiés cette semaine est qu’il montre comment un grand banquier peut absorber à la fois un accident grave, une conjoncture internationale comparable à une crue centenaire, et une restructuration au fil du rasoir. Exploit peu banal quoiqu’un peu aidé, cependant…
Regardons, avec à présent le recul nécessaire, l’étendue des dégâts et les solutions stratégiques mises en œuvre : c’est impressionnant.
Retour en 2008
Fin janvier
La banque découvre son implication, pour ne pas dire fraude, dans un engagement trader d’environ 50 milliards d’euros et son PDG d’alors prends hâtivement la décision de brader les positions. D’où une perte de
4,9 milliards d’ euros, soit 18 % de ses capitaux propres mais surtout l’équivalent de 2 à 4 années de revenus.
Fin avril
Elle apprend que son exposition à la crise des Subprimes n’est pas une mince affaire, ce qui fait peur à tous ses confrères qui refusent de lui prêter.
Fin Septembre
S’en suit, avec la déconfiture de Lehman Brothers puis de A.I.G., elle découvre que ses garanties n’en sont pas !
Il y a des années comme ça ou tout va mal…
année 2009
Vient 2009 : le public se gausse, les traders rasent les murs, et conformément à la théorie, la crise financière devient une crise économique, remarquablement limitée par les gouvernements avec en tête les japonais et les grecs, qu’il ne faut jamais supplier d’organiser la relance à grands coups de déficits.
Notre petite Société Générale se sent un peu perdue mais rame fort à contrecourant pour échapper à ce torrent de mauvaises nouvelles, d’autant qu’il lui faut vite trouver de l’énergie, c’est à dire du cash, pour échapper aux prédateurs à commencer par l’État, ce faux ami qui prétendait lui dicter sa loi et la rémunération de ses cadres.
Selon les comptes publiés, la “soluce” est d’envergure : augmentation de capital de 27% soit 960 millions, dont finalement assez peu pour SPPE (Société des Participations Publiques de l’État) : 45 millions d’euros qui a fait un aller-retour de mai à novembre digne d’un bon hedge fund. On y ajoute les émissions de titres subordonnés (curieusement SocGen a arrêté d’en émettre en août 2008 alors que la société avait pourtant levé 3105 millions d’euros en 8 mois du plus fort de la crise) et puis surtout on met en œuvre de la bonne vielle technique qui a servi le sauvetage du crédit lyonnais : le véhicule ad hoc.
Donc cession de 8 milliards d’actifs dits “illiquides” (illiquides ≠ incessibles : a quel prix ?) + 4,3 milliards d’actifs toxiques : ce n’est plus de l’argent de poche…
En face, on sacrifie les bijoux de familles : 2 départements des plus rentables consacreront l’essentiel de leurs profits à alimenter ce véhicule après qu’on ait repoussé la maturité de la dette, un peu comme si votre garagiste vous attribuait les revenus de la vente future des pneus pour rembourser sa bêtise d’avoir cassé votre voiture.
Pour le reste, on cravache la bête : avec un coefficient d’exploitation de 68 % et un ROE de 0,9 % (contre 26% en 2005), Soc Gen flirte avec les pires ratios de la profession bancaire, ce qui est dangereux lorsque le capital de la banque est contrôlé à 7% par les salariés et à 81% par le public. Tant les salariés que les actionnaires privés ne peuvent être satisfaits, à l’évidence.
A l’heure des suppositions
Supposons que vous et moi décidions une OPA sur Société générale. C’est une SA, donc 51% du capital nous suffisent pour la diriger voir pour la vendre “en appartements”. Calculons : il faut donc 377,5 millions d’actions à 50€ environ pour la contrôler, soit 18, 87 milliards d’euros. Un gros montant relatif. Comment le financer : ne supposons pas que la SocGen nous les prêtent, cela ne représenterait que 12 % de ses dépôts, mais bon faut pas rêver.
Supposons alors un prêt relai, chinois pourquoi pas, adossé aux 4,6 milliards d’immobilisations tangibles brutes (PV latentes = amortissements), et à 5% des profits réalisables sous 3 mois du compte titre hors REPO soit 278,5 Milliards x 5% donc 14 milliards d’euros. Nous avons donc une garantie totale, le reste en plus !
Reste à considérer :
- le hors bilan : 210 millions d’euros en cautions données pour 101 reçues, donc 2x les capitaux propres
- les 15 600 milliards d’engagements sur instruments financiers soit 5 années du PIB de la France ; un modeste écart de 2% -200 PB d’écart – cela arrive plusieurs fois chaque année et c’est 317 millions qui partent en fumée ou se gagnent soit 1/3 du résultat 2009
- les risques d’impayés provisionnés pour 359 millions alors que le risque d’exposition déclaré est de 5.371 millions, etc…
Fluctua Nec Mergitur
Cette boutique n’est pas un cadeau et je ne voudrais pas être à la place de son responsable ALM. Il faudrait être fou pour acheter une banque en ce moment, non ? Surtout la Société Générale !
Mais il faut acheter au son du canon et vendre au son du clairon nous disent les vieux boursicoteurs … Je ne sais qui à raison, me contentant d’apprécier la technique financière appliquée au sauvetage d’une des plus grandes banques mondiales. Des fois que ça puisse concerner la Grèce : après tout ils ne sont pas plus stupides chez SocGen que chez Goldman Sachs, non ? En tout cas ils sont en train de démontrer qu’ils savent colmater, renflouer et, souhaitons leur, naviguer à la Société Générale. Fluctua Nec Mergitur ! En profitent-ils pour en mettre sous le coude ? Côté chiffres ça me parait clair sauf si tout n’a pas été dit, côté communication financière, une telle hypothèse me parait impossible. Je ne sais…
Toutefois j’ai un doute : si je vais trouver le chef ‘agence SocGen de mon quartier en lui exposant que je viens de perdre stupidement plusieurs années de mon revenu, que mon job est menacé et mon patrimoine compromis, croyez vous qu’il fera pour moi ce que j’ai fais pour lui ?
Christian Clairviel