Café de la Bourse a interviewé Jean-Jacques Friedman. Le Chief Investment Officer de Natixis Wealth Management est revenu sur la situation macroéconomique actuelle : dettes publiques et privées, tensions géopolitiques au Moyen-Orient, hausse du prix du pétrole, situation du marché actions et du marché immobilier aux États-Unis. Une discussion qui a permis de répondre à une question que se posent de nombreux investisseurs : 2018 verra-t-elle une nouvelle crise économique ?
Les principaux facteurs liés à une crise économique et financière
La situation macroéconomique actuelle décryptée au travers de quatre thématiques : les niveaux d’endettement publics et privés, les tensions géopolitiques eu Moyen-Orient, la hausse des cours du pétrole et enfin l’évolutions des cours de l’immobilier et du marché actions aux États-Unis.
Des dettes publiques et privées très élevées
Les niveaux d’endettement publics et privés rapportés au PIB sont au plus haut. Dans quelles mesures les dettes publiques et privées influent-elles sur les marchés ?
Le pilotage des banques centrales depuis 10 ans aurait pu permettre de diminuer les dettes privées. Pourtant, elles ont continué à croître. Les entreprises, plutôt que de profiter du taux zéro pour se désendetter, ont préféré acheter d’autres boîtes.
En matière de dettes publiques, c’est l’histoire de la poule et de l’œuf. On ne sait pas si les taux doivent être plus faibles parce qu’il y a moins de croissance ou si les taux doivent être plus faibles pour la charge de la dette que paient les États ne soit pas trop importante.
Ce qui est certain, c’est que la faiblesse des taux d’intérêts associée à la croissance que connaît aujourd’hui l’Europe compense et permet de parvenir à un certain équilibre.
Aux États-Unis, la situation est totalement différente. La politique de Trump a conduit à une augmentation du déficit américain et déséquilibre encore davantage la balance.
En Europe, la dette plafonne grâce aux politiques menées par les banques centrales.
N’empêche, un problème demeure : quand il n’y a pas d’endettement de l’État, le jour où il y a la crise, les États peuvent s’endetter. Aujourd’hui, cela n’est plus possible. Du coup, s’il y a une nouvelle crise, ce n’est plus l’État qui renflouera, et donc le contribuable, mais le créancier. Cette situation que l’on peut juger avantageuse par certains côtés a cependant ses limites comme le démontre l’exemple italien actuel. Les obligations italiennes sont en très grande partie détenues par des petits porteurs et finalement, c’est tout de même le contribuable qui paiera la note.
Soulignons également que l’absence de possibilité pour les États de s’endetter si elle constitue un garde-fou en moins est cependant un chose dont tout le monde a conscience et qui est prise en compte par les marchés.
Attention cependant, la faiblesse des taux d’intérêts peut aussi être un handicap à la croissance. Cela empêche la création destructrice. On le voit notamment aux États-Unis où la croissance potentielle américaine bouge moins que ce que l’on aurait pu attendre car, avec des taux très faibles, on maintient en vie des entreprises qui auraient dû disparaître au profit d’autres.
La politique de taux d’intérêt bas a des conséquences potentielles sur la croissance économique. Il y a aussi des effets pervers à la baisse des taux. On peut dire que le pilotage des taux des dernières années a dans une certaine mesure fonctionné mais il ne s’est pas passé non plus exactement ce à quoi on s’attendait.
Tensions géopolitiques au Moyen-Orient
Quelles conséquences macroéconomiques pour les tensions au Moyen-Orient (on pense bien sûr à la menace qui pèse sur l’accord sur le nucléaire iranien mais aussi au déménagement de l’ambassade américaine d’Israël à Jérusalem et ses conséquences) ?
Le Moyen-Orient fait toujours peur. Ce qu’il est primordial de retenir, c’est que c’est une région du monde où s’affrontent des intérêts contradictoires importants. La situation du Moyen-Orient est en cela très différente de la situation en Corée où tout le monde s’accorde à penser que Kim Jong-un est fou. Le Moyen-Orient est une véritable poudrière qui a toujours fait plus peur que le reste.
D’autant que l’on assiste aujourd’hui avec la politique de Donald Trump à un véritable détricotage de la politique d’Obama qui souhaitait se recentrer vers l’Iran en abandonnant son partenaire historique l’Arabie Saoudite. L’Arabie Saoudite comme l’Iran ont de nombreuses choses à se reprocher (notamment la guerre au Yemen pour l’Arabie Saoudite et les liens avec le Hezzbollah pour l’Iran). Toujours est-il que la zone est fortement déséquilibrée aujourd’hui, ce qui n’est pas sans incidence sur les cours du pétrole.
Hausse du prix du pétrole
Quelles sont les conséquences de cette situation sur les cours du pétrole ?
Je ne pense pas cependant que l’on reviendra à une production du pétrole divisée par deux en Iran. Si l’Europe a tendance à céder à la règle d’extra-territorialité imposée par les États-Unis et qui les oblige à rompre leurs liens avec ce pays, l’Iran a tendance à diversifier ses approvisionnements vers la Chine et l’Inde qui eux se soucient assez peu de ce que pensent les États-Unis. Par conséquent, la baisse de la production devrait être minime et en aucun cas rappeler le niveau atteint lors du dernier embargo américain.
Ce qui pose surtout problème avec le pétrole et explique en partie la hausse des cours, c’est la situation difficile au Vénézuela qui tombe exactement au même moment. Il s’agit de problèmes totalement différents puisqu’au Vénézuela la difficulté vient de la rupture de contrats avec des sociétés de service et qui a entraîné le départ massif de nombreuses personnes travaillant dans le secteur. Conséquence : la production vénézuélienne devrait baisser bien plus fortement que la production iranienne.
Le Moyen-Orient est le lieu de tensions complexes mais, le pétrole ne devrait être que peu impacté, d’autant plus que l’Arabie Saoudite, actuellement très en-deçà de ses capacités de production, pourrait si besoin remettre du pétrole dans le système.
Retenons tout de même que jusqu’en 2017, la hausse des cours de l’or noir était due à l’accroissement de la demande. Aujourd’hui, l’évolution des cours est régie par un problème d’offres. Il suffirait d’un déséquilibre pour que cela devienne dangereux.
Bulles boursières et immobilières aux États-Unis
Aux États-Unis, sur la période 2010-2018, les prix de l’immobilier commercial a augmenté de 100 %, celui des maisons de 50 %. On parle sans cesse de la valorisation des marchés américains, jugés chers. Peut-on qualifier de bulles boursières et immobilières la situation des marchés actions et immobiliers aux États-Unis ?
Je ne pense pas, non.
En ce qui concerne le marché immobilier, on partait de tellement bas, la correction qui a suivi la crise des subprimes et la crise financière a été d’une telle violence que l’on est tout juste revenu à la zone d’équilibre. Et tellement peu de maisons se sont construites pendant un moment qu’il a fallu construire massivement ! Et puis l’enjeu n’est pas tellement en termes de prix mais plutôt dans la contribution de ce secteur à la croissance. Et aujourd’hui, l’immobilier n’est plus un moteur.
En ce qui concerne la valorisation des actions US, tout le monde trouve tout le temps que c’est cher. Prenons l’exemple du NASDAQ, véritable symbole de la valorisation américaine, si l’on prend les prix par rapport aux perspectives de croissance, on constate qu’il n’y a pas de bulles. Ce qui se paye plus cher par rapport au reste de la cote a des potentiels de croissance extrêmement forts.
Le PE de Schiller est certes élevé (+ 30 l’an dernier) mais la situation actuelle est très particulière : c’est comme si une économie numérique était venue se greffer à une économie déjà existante. Il y a eu un véritable débat autour de ce PE de Shiller très haut. Shiller lui-même, à l’origine du ratio qui porte son nom, a tranché indiquant qu’il ne s’agissait vraisemblablement pas d’une bulle.
Cette année, Amazon et Facebook ont présenté de nouveaux risques. Trump également a fait craindre pour le Nasdaq en voulant s’attaquer aux entreprises de la Tech pour des raisons politiques et économiques (notamment en remettant en cause leur situation monopolistique comme les États-Unis l’avaient fait en démantelant l’Empire Rockefeller avant la première guerre mondiale). Une telle croisade aurait sans doute beaucoup fait souffrir les entreprises de la Tech qui ont cependant pu compter sur le fait que la force de la Bourse est l’un des critères de la politique de Trump, raison pour laquelle il ne s’en est pas pris à ces sociétés qui auraient pu faire basculer toute la cote.
Ajoutons que la période de publication des résultats du 1er trimestre est venue rassurer les marchés. La croissance des société au premier trimestre a été plus forte que prévue.
En conclusion, diriez-vous que l’année 2018 a de fortes chances de voir une nouvelle crise économique ? Quels facteurs permettent de valider/réfuter cette thèse ?
Je ne crois pas. La croissance économique a trop de moteurs et est trop répandue pour qu’il y ait une crise économique. De plus, les indicateurs avancés sont à des niveaux exceptionnels.
Il existe toujours une possibilité de mouvement d’amélioration du chômage en Europe. Les États-Unis dont on pouvait craindre au début de l’année qu’ils entreraient dans une fin de cycle ont apporté finalement leur lot de bonnes surprises : les entreprises investissent très fortement, le taux de chômage est au plus bas et le risque de récession est encore faible car les conditions de crédit sont bien orientées.
Le seul problème majeur aujourd’hui reste le pétrole. Une grave crise pétrolière pourrait remettre en cause la situation actuelle.
Enfin, on ne peut conclure sans revenir sur le niveau de valorisations élevé qui se cale sur la progression des bénéfices. Les PER ne peuvent pas réellement remonter par manque de visibilité. La hausse, tant que l’on est sur du court terme, ne se calculera que sur des anticipations des bénéfices. Hors, il n’y a pas d’anticipations de long terme possibles par manque de perspectives.
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