Café de la Bourse a interviewé Jeanne Asseraf-Bitton, responsable de la Recherche Marchés chez Lyxor Asset Management qui est revenu pour nous sur le comportement des Français en matière d’épargne et d’investissement, sur les choses à changer et la bonne façon de le faire.
Les raisons d’une épargne record en France
Le taux d’épargne atteint en France des records. Comment l’expliquez-vous ? Qu’est-ce qui explique que les Français sont des épargnants avant d’être des investisseurs ?
La France a un taux d’épargne parmi les plus élevés en Europe, juste derrière les Allemands. Les Français sont pour reprendre la fable de La Fontaine des fourmis qui épargnent régulièrement. Comment l’expliquer ?
On a pu constater qu’un lien existe entre taux d’épargne élevés et doute quant aux flux de revenus futurs. Quand on doute sur ses revenus futurs, on épargne davantage. Le chômage qui a durement frappé la France dans les années 1970, avec des reflux relativement modestes depuis, peut expliquer la crainte des Français de rencontrer des difficultés financières à l’avenir (dues à la perte d’un emploi par exemple) et les pousser à épargner.
À noter que les Français se constituent une épargne de précaution mais pas seulement. Ils épargnent aussi beaucoup pour financer un achat immobilier. L’accession à la propriété est en France un moteur de l’épargne.
Je soulignerai également un autre élément qui me paraît important : la théorie économique permet de penser qu’il y a une forme de corrélation entre l’endettement des États et l’épargne des particuliers. Avec l’endettement de l’État apparaît une conscience collective des citoyens qui intègrent le fait que la dette appartient à chacun et il qu’il faut épargner car la dette sera bien à régler un jour ou l’autre. Le niveau d’endettement de l’État joue donc aussi sur le niveau d’épargne des particuliers.
Les Français épargnent massivement mais peu investissent leur épargne. Les raisons sont nombreuses et c’est bien évidemment une conjonction de facteurs qui jouent. On peut bien sûr pointer l’aversion au risque des Français qui leur fait préférer des placements liquides et garantis. Damien de Blic, le sociologue qui est intervenu à la présentation de l’étude Les Français et les grandes dépenses de la vie relevait aussi qu’il y a quelque chose de l’ordre du tabou en France du côté de l’argent et des placements.
Mais tous ces phénomènes pourraient s’appliquer à d’autres pays européens. Pourquoi le taux d’épargne est si élevé en France et l’investissement si faible ? La sociologie et l’histoire pourraient sans doute l’expliquer mieux que moi. Toutes les raisons que j’ai avancées expliquent en partie la situation mais ce n’est pas aussi simple et aussi net que cela.
Épargne et investissement : les frères ennemis ?
Quels moyens pourraient-on mettre en place pour faire évoluer les choses ? Pour inciter les Français à investir davantage et à prendre plus de risques ?
En premier lieu, je tiens à clarifier la confusion fréquente que l’on fait entre deux notions lorsque l’on parle d’épargne. L’épargne est l’action régulière, souvent mensuelle, qui consiste à mettre de l’argent de côté. Elle se mesure avec le taux d’épargne. Si je gagne 100, que je dépense 80 et que je mets 20 de côté, mon taux d’épargne est de 20 %.
Mais on appelle aussi épargne le fait d’avoir une épargne, un patrimoine, qui peut être due au fait que l’on ait épargné (il s’agira alors de la somme que l’on a mise de côté) ou pas du tout, comme dans le cas d’un héritage par exemple. Le fait d’épargner et le fait d’investir un patrimoine sont deux choses très différentes.
L’épargne, pour les deux tiers est liée à l’immobilier et il s’agit pour un tiers d’épargne financière. Depuis 1955, le taux d’épargne financière est resté très stable en France et avoisine les 5 % des revenus.
Pourquoi l’épargne financière n’est-elle pas investie davantage en actifs risqués ? L’épargne financière est en effet en France avant tout liquide et peu investie en actifs. De nombreux facteurs entrent en comptent.
D’abord, rappelons que pendant longtemps, le cash rapportait. Durant les années 1990 notamment, les placements sans risque affichaient des rendements appréciables et en plus fiscalement intéressants. Le recours à l’épargne réglementée d’alors mais aussi à des enveloppes comme le fonds euros de l’assurance-vie, sans risques, rémunératrices, doublées d’avantages fiscaux, a donné aux Français l’habitude qu’une épargne sans risques pouvait rapporter. À ce moment-là, s’est répandue une distorsion du modèle rendement/risque toujours à l’œuvre aujourd’hui. Une conjonction de facteurs a incité les épargnants à se positionner sur des placements liquides et sans risques et qui en plus permettait de se constituer une épargne de précaution toujours disponible.
Aujourd’hui, ce qui est sans risque ne rapporte plus rien. À la BCE, cela coûte même lorsque l’on dépose de l’argent. Ce n’est pas encore le cas en France mais n’empêche, ce qui est sans risque n’est plus rémunéré. Il faut donc s’interroger et revoir les façons de penser et d’investir.
L’étude Les Français et les grandes dépenses de la vie a démontré que les Français ont conscience qu’ils doivent prendre le relais de l’État providence et financer eux-mêmes au moins en partie les grandes étapes de la vie que constituent par exemple la retraite ou la dépendance. Cette tâche qui leur incombe désormais doit notamment les amener à revoir l’allocation de leur épargne. Il faudra corriger le tir mais cela se fera naturellement. Les réformes récentes sur la fiscalité : loi de finance 2018, loi PACTE entre autres, cessent d’encourager l’épargne réglementée et encouragent l’investissement dans l’économie réelle. La transition sera sans doute lente mais les conditions vont peu à peu se mettre en place. L’épargne des Français va se redéfinir pour mieux correspondre à leurs besoins futurs.
Bien investir et savoir où placer son argent nécessite de bien se connaître
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite investir ?
L’organisation de l’épargne doit se faire en fonction des besoins futurs. On ne souhaite jamais investir dans l’absolu mais en fonction de ce que l’on peut prévoir. Interviennent dans l’équation : l’âge, les priorités de vie, l’âge de départ à la retraite, le fait d’avoir ou non des enfants et le souhait ou non de leur laisser quelques chose. Cette liste de facteurs à prendre en compte est bien évidemment loin d’être exhaustive ! Un bon investissement est un investissement fait en fonction de l’appétence au risque de chacun et en fonction de son futur probable et souhaité.
C’est pourquoi tous les acteurs qui travaillent dans ce domaine doivent travailler à la personnalisation des solutions proposées. On ne peut pas donner la même solution à tout le monde quelle que soit sa problématique comme on ne donne pas le même médicament à tous les malades. L’objectif est d’arriver à trouver l’interlocuteur qui va aider à faire le bon diagnostic.
J’aurais cependant un message à faire passer : il est temps d’être un peu moins averse au risque.
En matière d’investissement, le bon timing pour investir n’existe pas
Quel regard portez-vous sur le contexte économique et financier actuel ? Est -ce le (bon) moment d’investir ?
Personne n’est capable de timer de façon adéquate un investissement. On n’est jamais à l’abri d’un coup de chance ou de malchance. Pour se positionner sur des actifs risqués, mieux vaut donc entrer progressivement pour lisser le risque. Les produits à la fiscalité avantageuse comme le PERP incitent d’ailleurs à faire des versements réguliers qui vont bien avec le concept même de l’épargne qui véhicule une idée de régularité et qui lissent le risque en étalant dans le temps l’investissement. Il est recommandé d’investir un petit peu de son épargne chaque mois. Ainsi, on ne se rajoutera pas une pression supplémentaire pour choisir le bon timing d’entrée. D’autant que cela ne correspond pas à ce que doit être une vision longue. Et retenez que plus la période d’investissement est longue, moins le timing joue.
Pour limiter le risque de marché, il convient donc de procéder à des entrées étalées dans le temps. Pour limiter le risque lié aux produits et le risque de taux, il convient d’opter pour une diversification des actifs. Je tiens à souligner le fait que la diversification est un élément clé de tout investissement qui permet de réduire le risque, sans l’annuler toutefois !
Mais l’investisseur doit bien garder en tête que le risque zéro n’est plus attractif désormais. C’est un véritable changement de paradigme pour les Français ! Cependant, s’il faut accepter ce risque, il faut aussi le contrôler, le gérer. Il en doit en aucun cas être aléatoire. Le couple rendement risque doit être au cœur de toute stratégie d’investissement : il faut obtenir un rendement suffisant pour un risque contrôlé. Bien aborder le risque permet de bien le maîtriser.
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