Les Français se montrent particulièrement averses au risque et par conséquent, ils sont très peu à envisager l’investissement en Bourse. Pourtant, plusieurs facteurs devraient les inciter à se positionner sur le marché actions : d’une part, les Français investissent sur le long terme et d’autre part, le contexte de taux négatifs actuel renforce encore l’attractivité des actions, seuls actifs ou presque, à offrir du rendement.
Quels placements ont la préférence des Français ? Comment la Bourse pourrait-elle s’inviter dans le capital des particuliers ? Grâce à quelles initiatives ? Via quels placements financiers ?
Découvrez dans cet article, le point de vue de personnalités de la finance sur ces questions : Patrick Artus, chef économiste et membre du comité exécutif Natixis ; Stéphane Boujnah, président d’Euronext ; Pierre Moscovici, commissaire européen, et Robert Ophèle, président de l’AMF. Ils ont en effet abordé ces différentes problématiques lors du débat d’ouverture de l’évènement Investir Day qui s’est déroulé à Paris le 3 octobre 2019, intitulé : « Comment réconcilier les Français avec la Bourse ? ».
Les français ont peur du risque et protègent leur épargne
Patrick Artus est formel : il constate une trop forte aversion des Français aux risques concernant leur épargne. Même constat pour Pierre Moscovici qui rappelle qu’entre 2008 et 2018, le nombre d’actionnaires en France a été divisé par deux, preuve s’il en est, de la « fameuse aversion au risque française » dont il pense qu’il s’agit d’une « caractéristique française dont il sera compliqué de s’affranchir ».
De nombreux facteurs expliquent cette aversion, voire ce désintérêt des Français pour les marchés boursiers.
D’abord, les fluctuations qu’ont connu les marchés boursiers ces dernières années. Pierre Moscovici souligne que « la crise qu’a connue la zone euro a ajouté à la défiance des Français ». Pour Patrick Artus, effectivement, « la volatilité extrêmement forte sur les marchés boursiers décourage les investisseurs, y compris les investisseurs institutionnels ». Selon lui, « les actions ne reflètent plus la valeur d’une entreprise. La valorisation d’une entreprise en Bourse ne correspond plus à sa vraie valeur car trop de facteurs externes entrent en jeu ».
Pour Stéphane Boujnah, les raisons de ce désintérêt des Français vis-à-vis de la Bourse est à rechercher plus loin encore. L’origine de ce désamour est selon lui lié à notre système de retraite par répartition. Les Français n’ont pas besoin d’investir pour préparer leur retraite, contrairement aux États-Unis par exemple qui ont un système de retraite par capitalisation. C’est pourquoi, le pic de détention d’actions par les particuliers s’est observé en France dans les années 1880-1913 quand il n’y avait pas de retraite. En 1945, avec la mise en place du plan solidarité, les actions ont irrémédiablement perdu du terrain.
Mais d’autres facteurs expliquent le peu d’intérêt des Français pour les marchés actions selon le président d’Euronext, et notamment la fiscalité punitive qui pendant longtemps a été appliquée aux actions. Le changement est très récent. Ce n’est que depuis la loi de finances 2018, qui a instauré la Flat Tax, que la fiscalité des revenus du capital n’est plus identique à la fiscalité des revenus du travail. On pourra aussi souligner que l’instabilité fiscale contribue à la défiance des particuliers.
Enfin, pour Stéphane Boujnah, la réglementation très stricte et assez anxiogène a aussi un rôle dans ce désamour des français pour la Bourse. En effet, les banquiers, assureurs, courtiers, … doivent avant de vous proposer d’investir en Bourse, vous alerter sur les risques, vous dire que « c’est très grave, que vous allez prendre des risques ».
L’actionnariat souvent décrié
Ajoutons à tous ces éléments que l’actionnariat n’a pas bonne presse. Pour Patrick Artus, la « vision très négative de l’action cotée » vient en grande partie du « manque de connaissance économique des Français ».
Robert Ophèle reconnaît que la réglementation encadrant les investissements en Bourse fait qu’ « aujourd’hui, il est risqué pour un conseiller de conseiller des produits risqués ».
La clé pour remédier à cela : « conseiller la diversification ».
Selon le président de l’AMF, « le risque doit être global et non envisagé produit par produit ». Il prévient d’ailleurs qu’une consultation publique à ce sujet va s’ouvrir prochainement pour bâtir une réglementation « plus rationnelle et qui ne soit pas un frein à ce type d’investissement ».
« Aujourd’hui, les marchés sont plus volatils et plus transparents » selon Stéphane Boujnah, ce qui peut faire peur à l’investisseur particulier qui voit le montant de ses économies placées en Bourse varier sensiblement au jour le jour. Pourtant, la situation n’est pas forcément moins avantageuse qu’avant car, s’il y avait moins de fluctuations, il y avait aussi « davantage de délits d’initiés » confie le président d’Euronext.
Le manque de popularité de l’actionnariat pose un véritable problème car selon lui, « quand on n’investit plus en actions, a lieu une rupture du contrat social entre la société et les entreprises. […] Les Français connaissent mieux des entreprises comme Google, Facebook ou Microsoft dont ils touchent les produits qu’ Air Liquide, par exemple » explique Stéphane Boujnah qui conclue : « On a éliminé le lien entre les Français et les entreprises ».
1 français sur 5 est prêt à miser de l’argent en Bourse
Aujourd’hui, seul 1 Français sur 5 se dit prêt à investir sur les marchés actions, soit environ 20 % de la population. Et pourtant, les Français auraient tout intérêt à investir en Bourse.
Le contexte économique d’abord, devrait les inciter à se positionner sur les actions. Les taux bas actuels, voire négatifs, signifient ni plus ni moins que sur le marché obligataire, l’épargnant est sûr de perdre un peu, tout le temps. Sur le marché actions en revanche, l’investisseur peut, éventuellement, tout perdre. C’est ce qui fait dire à Stéphane Boujnah qu’ « avec les taux négatifs, il n’y a plus qu’un placement qui peut être tenté : les actions. »
De plus, il souligne que les marchés actions offrent à l’investisseur :
- du rendement : sur une longue durée, il s’agit de la classe d’actifs qui présente les meilleures performances ;
- une connaissance des risques : avec une action, on connaît le niveau de risque associé au placement ;
- de la liquidité : les seuls marchés qui ne ferment jamais sont les marchés actions : les prix peuvent baisser mais il sera toujours possible de revendre ses actions ;
- un choix remarquable : on notera la profondeur du marché actions qui ne se limite pas aux poids lourds de la cote mais concerne aussi les PME.
« La profondeur de choix, de risque et d’exposition à des niveaux d’opportunités extrêmement variés » font véritablement du marché actions, un passage obligé pour tous les investisseurs particuliers, revendique le patron d’Euronext.
Pour Pierre Arthus, « l’actif qui a le plus de potentiel aujourd’hui sont les actions ». Il s’agit du « seul actif pas cher » puisque les taux d’intérêt négatifs n’ont pas fait baisser la prime de risque.
Pour que les particuliers comprennent l’importance de se positionner sur le marché actions, « l’accompagnement pédagogique est très important » explique Robert Ophèle.
Les Français ouverts à la privatisation
Autre facteur qui pourrait jouer en faveur d’un redéploiement massif de l’épargne des Français vers les actions : les privatisations. En effet, le président de l’AMF rappelle que si l’on compte actuellement seulement 3 millions d’actionnaires individuels français, il y en a eu beaucoup plus par le passé, lors des grands mouvements de privatisation.
Stéphane Boujnah partage cet avis. Pour lui, la « privatisation peut aider à reconnecter la réalité des marchés avec l’opinion. À l’occasion de ces opérations, nombre de gens peuvent avoir l’opportunité de s’intéresser à ce sujet-là. »
Les français épargnent à long terme
Les Français feraient bien d’investir en actions car cela est tout à fait compatible avec leur horizon d’investissement. Patrick Artus est formel : « les Français n’ont pas besoin de tant de liquidité que ça, puisque la durée moyenne effective d’un contrat d’assurance-vie en France est de 13 ans ».
Robert Ophèle souligne également « l’extraordinaire inertie » des Français quant à leurs placements. Non seulement, le temps moyen de conservation d’une assurance-vie est de 13 ans, ce qui est relativement important, mais les Français n’opèrent que très peu d’arbitrages entre leurs placements. Ainsi, quand le taux du livret A baisse, les Français conservent tout de même leur enveloppe.
Force est de constater que « ce qui compte pour l’épargnant, ce n’est pas tellement la liquidité mais l’idée que c’est liquide » explique le président de l’AMF. Stéphane Boujnah insiste sur cette « différence entre savoir que c’est liquide et avoir besoin que ce soit liquide « .
Quels sont les placements financiers choisis par les Français ?
Sans surprise, les placements plébiscités par les Français sont les placements à capital garanti.
Patrick Artus, pessimiste et désabusé, déclare : « les Français achètent des fonds en euros, du dépôt bancaire et des emprunts d’État. Et dans 20 ans, ce sera sûrement pareil ».
Mais il souligne également le « glissement progressif des actions cotées vers le non cotée » et explique que « les entreprises françaises se financent trois fois plus en non coté qu’en coté ».
Les Français, s’ils sont très peu à être des actionnaires individuels, sont-ils pour autant totalement absents des marchés boursiers ? La réponse est non. Robert Ophèle alerte sur le fait que « la gestion collective est très développée » et le nombre de personnes investies sur les marchés actions serait beaucoup plus élevé si on la prenait en compte, surtout avec l’épargne salariale, qui, selon Stéphane Boujnah, constitue un « moyen extrêmement puissant de créer du lien entre les salariés et leur entreprise ».
Quels placements proposer aux Français pour limiter les risques ?
Pour Patrick Artus, la solution pour que les Français investissent en Bourse est simple : « intermédier la détention d’actifs » afin de donner une impression de relative sécurité. La situation n’est guère brillante aujourd’hui pour l’économiste qui souligne que l’on compte « seulement 6 % d’actions dans les fonds euros des assurance-vie », que les SICAV et unités de compte, principaux produits d’intermédiation du risque actuels sont « très transparents », trop d’ailleurs. « La rénovation du fonds euro croissance avec une garantie en capital à la fin » est une piste intéressante ; tout comme le nouveau PER qui permet de prendre du risque puisque « quand on a 40 ans devant soi, il est bien plus facile de gérer le risque ». Pour l’économiste, tout l’enjeu est de « fabriquer des structures d’investissement intermédiées » qui permettront aux Français de renouer avec le risque et de se positionner en Bourse. Provocateur, il déclare que les fonds euros devraient être fermés, « ce produit du passé qui a tué l’action » et assure que « le produit banal de l’assurance-vie ne devrait plus comporter de fonds en euros ni d’obligations ».
Robert Ophèle explore une piste différente et envisage un retour des Français en Bourse grâce à la finance responsable. Selon lui, « l’ISR représente une opportunité de réconcilier les Français avec la finance [car les] gens sont aujourd’hui très sensibles à leur consommation, à leur manière de se déplacer, etc. » Le patron de l’AMF est persuadé que cela constitue une « belle opportunité pour la finance ».
Quelles initiatives pour inciter les Français à renouer avec les marchés financiers ?
Quand les taux baissent, l’exigence de rendement des fonds propres (ce qu’attendent les investisseurs) ne baissent pas. Autrement dit, la baisse des taux d’intérêt n’a pas entraîné une baisse des exigences du rendement des fonds propres chez les investisseurs. Pourtant, ils restent cantonnés aux mêmes placements, composés en majorité d’obligations, dont les rendements vont en s’amenuisant. Il y a donc un réel effort de pédagogie à faire pour que les Français aillent chercher la performance là où elle est : avec le risque, en Bourse. L’enjeu de cet effort de formation a bien été compris et une réforme du programme au lycée de l’économie a été entreprise. Depuis 2017, la Banque de France et l’Éducation Nationale coopèrent.
Mais formation et pédagogie ne peuvent concerner le seul lycée. Il y a un réel effort à entreprendre dans la population française dans sa globalité et c’est aussi le rôle des médias. Pour Stéphane Boujnah, « il est plus facile d’avoir envie d’acheter une action avec Jean-Pierre Gaillard que sans lui ». Il faut que la compréhension des marchés actions dépasse un club d’happy few et la compréhension des marchés financiers doit entrer à nouveau dans les ménages via les médias. Le président d’Euronext estime que les médias doivent absolument « contribuer à reconnecter la réalité des marchés avec l’opinion, sinon, c’est une bulle complètement abstraite ».
Mais les banquiers, les assureurs, les courtiers Bourse, ont aussi leur rôle à jouer selon Stéphane Boujnah. Et il n’est pas le seul à le penser. Ces professionnels de la finance s’emparent aujourd’hui du problème et parce que le conseiller bancaire est bien souvent le corps intermédiaire entre l’épargnant et la Bourse, des banques réfléchissent à rouvrir des agences pour remettre des conseillers bancaires et ainsi aider les gens à faire leur stock-picking.
Enfin, pour gagner la confiance des Français, la réglementation et la construction d’un système qui favorise la confiance de l’épargnant sont primordiaux.
Pierre Moscovici énumère les efforts faits au niveau européen pour créer « une zone euro qui procure un sentiment de confiance aux épargnants et offre une stabilité favorable à l’investisseur » :
- la création de l’Union bancaire lancée en 2012-2013 ;
- l’union des marchés de capitaux ;
- la création d’un mécanisme européen de stabilité ;
- le plan Junker piloté par la banque européenne d’investissement ;
- la future garantie des dépôts (chantier encore en cours) ;
- etc.
Au niveau national aussi, le régulateur a son rôle à jouer et Robert Ophèle précise que « l’AMF participe elle aussi à nourrir la confiance dans les marchés ». Et quand on lui demande si la réglementation doit évoluer pour que les Français investissent davantage en Bourse, il répond que « tout ce qui peut améliorer la confiance est nécessaire ».
Toutes ces initiatives ont un but unique qu’il est urgent d’atteindre : la reconstruction du contrat social entre les marchés financiers et les Français.
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