Pour bien investir, il est essentiel de comprendre l’environnement économique. Café de la Bourse fait le point chaque mois sur l’économie mondiale avec Alain Tourdjman, Directeur des Etudes Economiques et de la Prospective du Groupe BPCE.
Les États-Unis ont provisoirement réglé la crise budgétaire. Que va-t-il se produire maintenant ?
La question budgétaire américaine relève, in fine, d’un problème de gouvernance politique. Le règlement durable de ce sujet épineux pose la question de l’efficacité du bipartisme, mais les Etats-Unis sont dans tous les cas contraints de trouver une solution, ne serait-ce que pour rassurer leurs partenaires économiques. Le “shutdown” – fermeture de certaines administrations américaines et mise au chômage technique de centaines de milliers de fonctionnaires – a principalement causé un problème d’image au pays, plus que porté atteinte à son potentiel économique.
Doit-on s’attendre à une hausse des taux d’intérêt américains ?
Pas nécessairement. L’évolution des taux d’intérêt dépend surtout actuellement de la politique de la Fed. Or les conséquences économiques du shutdown à court terme conduisent à différer le durcissement de la politique monétaire, repoussant et limitant la hausse des taux longs qui était en cours.
L’important déficit budgétaire des Etats-Unis peut-il nuire à la reprise de leur économie ?
La reprise américaine depuis 2008 a été atypique. Elle s’est surtout appuyée sur l’amélioration de la productivité et le maintien de la profitabilité des entreprises plutôt que sur la consommation. Aujourd’hui, les entreprises américaines possèdent les moyens d’investir, grâce à des marges historiquement élevées et à un taux d’autofinancement supérieur à 100 %. De plus, les niveaux de stock et le taux d’investissement sont bas. Ces éléments militent en faveur d’une reprise des investissements des entreprises. Les anticipations de débouchés des industriels vont-elles pour autant les conduire à déclencher cette reprise ? Malgré une croissance du PIB de l’ordre de 1,8 % au premier semestre 2013, la demande privée progresse, elle, de 2,5 % et constitue, pour les entreprises, un indicateur favorable de la demande et de la croissance future.
Par ailleurs, l’immobilier présente également un fort potentiel de reprise et pourrait connaître un rattrapage qui impacterait positivement le PIB : 900 000 logements sont mis en chantier annuellement alors que 1,5 million seraient nécessaires a minima pour répondre aux besoins.
La consommation des ménages constitue sinon le moteur, du moins un soutien essentiel à la croissance américaine. Le chômage a significativement baissé et plus de 160 000 emplois sont créés chaque mois. Néanmoins, malgré les progrès déjà accomplis en matière de désendettement (la dette des ménages a baissé d’environ 20 points de revenu), l’endettement reste élevé à 110 % du revenu et la faiblesse du taux d’épargne laisse également peu de marges de manœuvre. La consommation, avec une progression proche de 2 % l’an, contribuerait ainsi moins fortement à la croissance que par le passé.
En tout état de cause, l’économie américaine a fait la preuve de sa résilience en 2013. Alors que le déficit public baissait drastiquement (à 5,7 % au 2e trimestre 2013 contre 9,3 % en moyenne sur 2012), la croissance, même modérée, a été au rendez-vous. La demande privée a pris le relais de la demande publique malgré une forte contraction du déficit.
Outre cette amélioration conjoncturelle, les Etats-Unis ont engagé des transformations structurelles, notamment en matière énergétique – utilisation du pétrole et du gaz de schiste – qui améliorent elles aussi la productivité et la compétitivité globale, voire donnent au pays les moyens d’amorcer une réindustrialisation.
Enfin, l’économie américaine est une économie de flux, d’innovation, qui se régénère rapidement.
Peut-on en dire autant de l’Europe ?
L’économie européenne ne présente pas la même flexibilité et la même capacité à diffuser l’innovation. De plus, la politique d’assainissement des comptes publics a été menée avec beaucoup plus de détermination et pèse sur la croissance, même si elle fait l’objet d’un réglage plus fin pour éviter un engrenage récessif. Néanmoins, la zone euro est sortie d’un cycle de six trimestres de récession consécutifs. Si la production industrielle demeure à la peine, plusieurs indicateurs révèlent la reprise de l’activité, tels que les indices PMI manufacturier et non manufacturier et les anticipations de commande.
Si la zone euro sort bel et bien de la récession, elle ne présente pas pour autant une économie fortement créatrice d’emplois, propre à relancer la demande privée et à réduire durablement le déficit public sans impacter la croissance. Les chiffres du troisième trimestre nous confirmeront peut-être ce rebond. Une pause n’est pas à exclure. Pour l’heure, nos prévisions tablent sur une croissance de 0,8 % en 2014 après un recul du PIB de 0,4 % en 2013.
Quels risques menacent la reprise ?
Face à une demande interne en repli pour la consommation des ménages comme pour les investissements des entreprises, la contribution du commerce extérieur a été essentielle pour limiter la baisse d’activité. Le risque est donc que l’euro reste, après l’épisode récent d’affaiblissement du dollar, à un niveau exagérément élevé, ce qui nuirait à la compétitivité des produits européens.
Un autre facteur de risque pourrait être l’interruption du processus de re-convergence des économies européennes en termes de coûts salariaux, de comptes courants, de déficit public. Ce processus, indispensable dans un espace économique possédant une monnaie unique, a été facilité par les progrès de gouvernance à l’échelle de l’Union. C’est un gage de maintien de l’unité économique et de la baisse des taux d’intérêt dans les Etats périphériques. Si plusieurs pays échouent à retrouver l’équilibre entre des comptes courants sains et une croissance suffisante, le cercle vicieux des problèmes de gouvernance et de dette publique pourrait s’enclencher de nouveau.
Quels sont les États qui contribuent le plus à la croissance européenne ?
Avec des estimations de croissance pour 2014 de 1,6 % et 1,4 % respectivement, l’Allemagne et l’Autriche devraient ouvrir la marche, devant la Finlande. Un deuxième groupe de pays formés notamment de l’Espagne, des Pays-Bas et de la France sortirait vraisemblablement de la récession ou de la stagnation avec une croissance comprise entre 0,4 et 0,8 %. L’Espagne, en particulier, en contrepartie d’ajustements profonds et douloureux, a commencé à transformer son modèle économique pour s’orienter davantage vers la demande extérieure et à assainir son système bancaire. La France, quant à elle, n’a pas connu une récession aussi sévère mais n’a pas non plus mis en œuvre des réformes aussi structurelles. Son rétablissement se fait donc sans restauration de sa compétitivité, ni perspective d’amélioration à long terme de ses déséquilibres.
Propos recueillis par Nadège Bénard
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