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“La cession-transmission des PME doit devenir une grande cause nationale”




Alain Tourdjman, Groupe BPCE, nous présente :

Le tissu français des PME et les enjeux de leur cession-transmission

Quel état des lieux pouvez-vous dresser sur le tissu de PME françaises ?

Il faut avant tout préciser que les PME sont difficiles à analyser dans leur ensemble. Elles ne constituent pas un agent économique au sens de la comptabilité nationale. La plupart des informations qui les concernent sont recueillies par le biais d’enquêtes réalisées auprès des dirigeants de PME, ce qui induit nécessairement des biais, dont la sur-représentation des petites structures. Si l’on considère le tissu français des PME/ETI non agricoles et non financières, il existe environ 209 000 entreprises de 10 à 4 999 salariés mais 60% d’entre elles, 123 000 entreprises, emploient de 10 à 19 salariés.

Pourtant, les PME/ETI jouent un rôle décisif dans l’économie. En termes d’emploi d’abord puisque ces entreprises – hors TPE – concentrent environ 41% de l’emploi salarié total en France. Ensuite en termes de croissance car, au-delà d’une certaine taille critique (20 à 50 salariés selon les cas), ces structures représentent un important potentiel pour l’économie française alors que les grandes entreprises ont davantage une stratégie internationale. En effet, ces PME/ETI peuvent consentir des efforts d’investissements, que ce soit pour la recherche ou pour l’exportation, autorisant des perspectives de développement.

Selon les données de la Banque de France, la croissance de la valeur ajoutée des PME entre 1998 et 2012 aurait en moyenne été deux fois supérieure à celle des grandes entreprises. Par ailleurs, contrairement à ce qui est parfois avancé, les PME françaises ont nettement progressé en termes de fonds propres depuis quinze ans et leur structure financière ne peut plus être considérée, globalement, comme une faiblesse. Compte tenu de l’ampleur de la crise financière récente, on peut d’ailleurs considérer que les défaillances ont été statistiquement limitées au regard des périodes antérieures.

Paradoxalement, cette solidité ne compense pas deux faiblesses structurelles. La première est la contrepartie de cette stratégie à long terme de consolidation / viabilité : c’est une insuffisance d’investissement et de pari sur la croissance qui se traduit notamment par un recul sensible du taux d’exportation depuis quinze ans. La seconde tient à un taux de marge trop faible, notamment par rapport à leurs consœurs étrangères, qui pèse sur la capacité d’autofinancement et dégrade la visibilité financière nécessaire pour jouer la carte du développement. Les PME françaises semblent donc en situation de croissance sous-optimale au regard de leur potentiel.

Comment évolue le nombre de PME ?

Si l’on prend l’année 2003 comme base 100, on observe une croissance de 8% du nombre de PME jusqu’à 2013, soit moins de 1% par an. Cette évolution modérée n’est pas due à un taux élevé de défaillances d’entreprise. La somme des liquidations judiciaires et des cessations d’activité sans reprise concerne 2,2% des PME chaque année. Malgré la vitalité de la création d’entreprises en France sur la décennie écoulée, il se crée fort peu de PME chaque année (environ 1,1% du stock) et l’essentiel des gains en nombre est lié au passage de la TPE (1 à 9 salariés) à la PE (10 à 19 salariés). Cette configuration illustre bien la difficulté majeure des entreprises françaises à se développer, à acquérir une taille critique et donc à embaucher, investir, exporter, etc. Le phénomène est encore amplifié par le vieillissement des dirigeants de PME, qui aspirent à transmettre leur entreprise et souvent en ralentissent l’endettement et l’investissement puis le rythme de croissance lorsqu’ils arrivent en fin de période d’activité, vers 60 ou 65 ans.

Comment se présentent les cessions/transmissions de PME en France ?

La transmission ou la reprise des PME constitue un enjeu majeur pour notre économie. Nous ne sommes pas tant confrontés aujourd’hui à la disparition d’entreprises non reprises qu’à un vieillissement des dirigeants qui induit une croissance moindre de l’activité de ces entreprises. Cela représente un risque pour le tissu industriel français.

Le nombre de repreneurs potentiels semble cependant élevé

Le nombre de repreneurs potentiels se révèle plus élevé pour ce qui concerne les projets de qualité, qui ne sont, en outre, pas majoritaires. Les autres, parce qu’ils sont moins bien localisés ou sont liés à des secteurs spécifiques ou moins gratifiants, trouvent plus difficilement un acheteur. D’autres variables doivent être prises en compte, dont, en premier lieu, le caractère éminemment humain d’un projet de cession/transmission d’entreprise. Le dirigeant qui doit cesser son activité est à la recherche du meilleur repreneur, une sorte d’alter ego voire de fils spirituel. De plus, il demeure très investi dans la gestion de son entreprise et manque de temps pour prendre à bras le corps un tel projet, ce qui tend à reporter la finalisation de la transmission. La majorité des chefs d’entreprise déclarant vouloir céder leur activité à horizon de deux ans n’ont même pas entrepris de démarches pour ce faire.

L’autre variable décisive concerne la reproductibilité des actifs (emploi, matériel, portefeuille clients, savoir-faire…). Lorsque dans un secteur d’activité, le coût d’accès à une taille critique d’entreprise est faible, les cessions seront moins nombreuses et le taux de disparition (et de créations) plus élevé. C’est le cas par exemple du secteur de la construction pour la PME, comme de certaines spécialités médicales ou paramédicales parmi les professions libérales, où les entités disparaissent par endroits pour renaître à d’autres. A l’inverse, s’il est difficile et cher de reproduire les actifs nécessaires à l’entreprise, les cessions seront plus nombreuses puisque la création d’une entreprise et la capacité à atteindre une taille critique présenteront plus de difficultés techniques et financières. C’est le cas par exemple des PME de l’industrie manufacturière ou agro-alimentaire.

Quelles mesures peuvent-elles être envisagées pour dynamiser ces reprises d’entreprise ?

Sur les 15 000 opérations identifiées en 2012 par notre Observatoire, la moitié a été effectuée par des dirigeants de moins de 55 ans. Cependant, cette population ne présente pas d’entraves majeures à céder quand elle le souhaite. En revanche, les cédants en fin d’activité professionnelle connaissent toutes sortes de difficultés pratiques, humaines ou financières qui restreignent le nombre de cessions. Les mesures nécessaires doivent donc cibler prioritairement les PME dirigées par des personnes en fin d’activité professionnelle.

  1. Améliorer la prise conscience de l’enjeu de la cession/transmission chez les dirigeants âgés et de la nécessité d’y accorder du temps et des moyens.
  2. Améliorer la visibilité et la stabilité en termes de fiscalité pour la transformation du capital professionnel en capital privé. Les conditions sont aujourd’hui favorables à une transmission familiale, mais celle-ci reste minoritaire.
  3. Réformer les aides techniques et financières pour une réorientation des fonds vers la cession/transmission. Depuis une dizaine d’années, la création d’entreprise, considérée comme une priorité nationale, a recueilli de larges subsides de l’Etat. Ce doit être au tour de la transmission d’entreprises établies, d’autant que l’impact économique issu de la pérennisation de structures rentables serait bien supérieur à celui des encouragements à la création d’entreprise. Les fonds pourraient servir à développer des formations sur le thème de la reprise d’une entreprise auprès des salariés, à multiplier les actions de mise en réseau, à soutenir les plateformes de cession/transmission, etc.
  4. Professionnaliser le conseil en transmission/cession/reprise d’entreprise. A un tel projet participent aussi bien des experts-comptables, des banquiers, des avocats que des conseillers spécialisés. Or ces derniers présentent des profils pour le moins hétérogènes et la difficulté de trouver un « bon » conseiller constitue un frein souvent évoqué à la cession. Une validation professionnelle spécifique apporterait visibilité et crédibilité à cette fonction de conseil indispensable.

La cession/transmission d’entreprise doit devenir une cause nationale. Il est essentiel que les autorités politiques prennent conscience de l’utilité économique que représenterait l’amélioration des cessions/transmissions, à la fois à court terme pour préserver l’emploi et les savoir-faire et à moyen-long terme pour accroître la compétitivité de nos entreprises.

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Propos recueillis par Nadège Bénard