Pour bien investir, il est essentiel de comprendre l’environnement économique. Café de la Bourse fait le point chaque mois sur l’économie mondiale avec Alain Tourdjman, Groupe BPCE.
À quel point la France va-t-elle mal ?
D’un point de vue conjoncturel tout d’abord, la France est sortie de récession, mais sans pour autant entrer en croissance. On peut s’attendre à un chiffre de 0,8 % de croissance seulement en 2014 après la stagnation de 2013, ce qui induit des blocages qui vont peser de plus en plus lourdement sur son économie :
- le nombre de chômeurs a crû de 8 % sur un an et, hors emplois aidés qui reportent le problème dans le temps, seule une croissance d’environ 1,5 % permettrait vraiment d’inverser cette tendance.
- De fortes tensions apparaissent sur le partage de la valeur ajoutée alors que, faute de croissance, le taux de marge des entreprises est au plus bas depuis un quart de siècle et que le pouvoir d’achat des ménages est en quasi-stagnation. Ces éléments pèsent sur le climat social et rendent d’autant plus difficile la mise en œuvre de réformes structurelles.
- Faute de reprise de l’activité, la réduction des déficits publics est lente et insuffisante avec 4,1 % en 2013 et probablement 3,8 % en 2014, ce qui met en danger la notation de la France et pourrait augmenter le coût de financement de l’économie.
- Enfin, techniquement, il faut noter que ni l’investissement, ni les exportations ne contribuent positivement à la croissance alors que l’accumulation de stocks, statistiquement aléatoire et économiquement non durable, y a joué un rôle important récemment.
D’un point de vue structurel, la France fait également face à de sérieuses difficultés. D’une part, son modèle de croissance assis sur la consommation est remis en question. Durant une quinzaine d’années, ce modèle est allé de pair avec une perte de compétitivité prix via la hausse des coûts salariaux et sociaux et avec un accroissement des déficits publics dû à celui des prestations. des déficits publics via la croissance des prestations. Alors que la consommation est atone et que les déficits publics doivent être réduits, la France doit davantage compter sur l’investissement et l’exportation pour croître, ce qui met l’accent sur la compétitivité prix et hors prix. Or, les investissements accusent un grave retard – l’investissement des entreprises chute de 2 % en 2013 et il en sera vraisemblablement de même dans l’industrie en 2014 – tandis que la balance commerciale française reste dans le rouge et que le pourcentage de PME exportatrices baisse.
D’autre part, à 93 % du PIB, la dette publique demeure élevée. Jusqu’en 2010, la dette française évoluait au même rythme que la dette allemande. Depuis, elle évolue en ligne avec la moyenne de la zone euro. Or une dette non maîtrisée peut conduire, on l’a vu récemment, à une dégradation de la note de l’Etat français par les agences de notation et à une perte de confiance des investisseurs, donc à une hausse de son coût d’endettement, ce qui précariserait tout l’édifice budgétaire. Alors que l’Etat français a toujours été crédité d’une forte capacité à lever l’impôt en toutes circonstances, cette capacité est remise en question dans le climat politique actuel et il doit maintenant réduire ses dépenses, ce qui entre en contradiction avec certains engagements pris par l’équipe en place.
Comment la France peut-elle restaurer sa compétitivité ?
Contrairement à l’Allemagne il y a près de 15 ans et aux pays d’Europe du sud tout récemment, la France n’a pas entrepris les réformes structurelles nécessaires, ce qui explique notamment des pertes de parts de marché considérables à l’exportation depuis 2000, y compris à l’intérieur de la zone Euro. Cela étant, l’observation de l’imposition des ménages et des entreprises depuis 2012 est révélatrice d’un changement. Les mesures prises en 2012 et 2013 ont conduit à taxer les entreprises de 22 milliards d’euros supplémentaires et les ménages de 28 milliards. Les mesures du projet de loi de finances pour 2014 montrent, quant à elles, un recul de plus de 10 Md€ de la taxation des entreprises et une augmentation de plus de 11 Md€ de celle des ménages, ce qui illustre clairement un début d’arbitrage en vue d’améliorer la compétitivité des entreprises, quitte à fragiliser le pouvoir d’achat des ménages.
Le levier fiscal est-il le seul possible ?
Le levier de l’impôt a aujourd’hui dépassé ses propres limites et l’action économique doit être plus large. Sans nécessairement passer par une phase de déflation salariale comme dans les pays d’Europe du Sud, dont le modèle était beaucoup plus déséquilibré, la France doit restaurer sa compétitivité prix en réduisant le coût global du travail et hors prix en favorisant l’investissement et la recherche.
La situation actuelle des entreprises ressemble à celle du milieu des années 1980 : des taux de marge et d’autofinancement faibles – respectivement 28 % et 66 %. Jusqu’ici, elles ont tenté de limiter les pertes d’emplois, dans l’attente d’une éventuelle reprise de l’activité. Au vu de la croissance toujours faible, elles allègent leurs effectifs, ce qui explique en partie la hausse du taux de chômage. L’autre explication réside dans l’augmentation de 5,2 % sur un an du nombre de faillites d’entreprises.
En bref, face à une demande en berne et à une rentabilité amoindrie, les entreprises reportent leurs investissements et leurs embauches. Si l’on note un arrêt de la dégradation de la compétitivité des entreprises et de la baisse de leurs parts de marché à l’exportation depuis 18 mois, des mesures telle que l’exonération des charges sociales sur les bas salaires semblent nécessaires pour, combinées à un léger regain de la demande, relancer la machine. Cela ne devrait cependant pas se produire avant le second semestre 2014.
Dans quelle mesure la consommation des ménages pâtit-elle de la réduction du pouvoir d’achat ?
La consommation des ménages progresse d’à peine 0,2 %. Il est probable que le pouvoir d’achat par ménage se dégrade encore en 2014 pour retrouver son niveau de 2005 ou 2006. Ces évolutions contribuent au pessimisme généralisé des Français et à leur perte de confiance dans le système de protection sociale. Ainsi, on observe le maintien d’un taux d’épargne élevé à 16 %. En situation normale, une baisse du pouvoir d’achat induit une baisse du taux d’épargne. Aujourd’hui, comme dans les années 1980 encore, la dégradation du pouvoir d’achat encourage les ménages à épargner davantage, par peur de l’avenir. S’il s’agit bien là d’une tendance structurelle, le soutien de la croissance par la consommation restera contraint et la France devra d’autant plus trouver dans l’investissement et les exportations de nouveaux relais à sa croissance.
L’exploitation du gaz de schiste constituerait-elle un atout pour la croissance de l’économie française ?
Certainement, comme on le voit aux Etats-Unis, même si la mise en œuvre d’une telle décision prendrait nécessairement quelques années. La condition est, bien évidemment, une exploitation sans conséquences pour l’environnement. Cela ne nous exonère ni d’un effort d’investissement dans les économies d’énergie, à la fois pour des raisons macroéconomiques et pour améliorer les comptes individuels des agents économiques, ni d’une rénovation du pacte social pour clarifier et mieux arbitrer les choix économiques et sociaux de la France.
Propos recueillis par Nadège Bénard
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