Ce discours est désormais connu de tous. Les marchés boursiers africains n’ont pas à se faire d’inquiétudes majeures face à cette crise financière mondiale qui perdure, étant donné que la plupart des places financières de l’Afrique n’ont pas encore atteint le standing de leur consœurs des autres pays. Les instruments financiers manipulés et en vigueur en Afrique sont actuellement loin de ressembler aux produits sophistiqués sur lesquels s’adosse la sphère financière internationale, devenue à la limite pratiquement virtuelle. Au plus fort du regain de tension sur les marchés financiers internationaux à partir de 2008, de nombreux analystes se plaisaient à rassurer tout le monde sur le caractère imperturbable des places boursières africaines.
Néanmoins, certaines d’entre elles à l’image de celles de l’Afrique du Sud et des pays du Maghreb, ont ressenti de nombreuses répercussions négatives. Concernant les pays réunis au sein de l’Afrique de l’Ouest, notamment à travers l’Union Economique Ouest Africaine (UEMOA), de nombreux spécialistes refusent toujours d’admettre que la crise financière a bel et bien eu des influences négatives sur les performances de leur bourse locale, la BRVM (Bourse Régionale des Valeurs Mobilières). Ils confortent leur position en brandissant comme argumentaire principal le caractère embryonnaire de cette place boursière et son cloisonnement vis-à-vis de la dynamique des marchés internationaux.
Mais ce que ces spécialistes oublient très souvent, c’est qu’à regarder simplement les résultats de la BRVM, on se rend compte qu’à partir de l’année 2008, année de dégradation de la crise des subprimes aux USA, les cours des valeurs cotées à la BRVM, ont amorcé une tendance baissière très forte. S’agit-il d’une simple coïncidence ou d’une véritable corrélation dont les paramètres n’ont pas encore été déterminés par les analystes de cet environnement boursier ? Un décryptage systématique s’impose donc.
Des chiffres qui parlent d’eux même
En effet, les deux indices boursiers principaux de la BRVM à savoir, le BRVM 10 et le BRVM Composite ont démarré leur cotation sur cette place boursière depuis le 15 Septembre 1998 avec pour chacun une valeur estimée à 100 points. A la fin de l’année 2007 ces deux indices cotaient respectivement 224.85 points et 199.5 points, soient des taux de croissance de 124.85 % et 99.45 % en prenant l’année 1998 comme année de référence. Jusqu’ici, tout va bien. On dira même que la BRVM a le vent en poupe. Mais là où les choses commenceront à se compliquer, c’est en 2008.
Ces deux indices ont terminé l’année en affichant chacun 192.08 points et 178.17 points. Là ou certains financiers ont pu voir une croissance de 92.08% et 78.17 % en s’appuyant toujours sur l’année de départ 1998, il fallait plutôt privilégier une autre approche. Une étude plus approfondie permet de déceler en réalité une baisse des performances de la BRVM à partir de cette période 2008. Car, de fin 2007 à fin 2008, l’on note au niveau du BRVM 10 une chute de 14.57 % et une baisse de 10.67 % au niveau du BRVM Composite.
L’utilisation de la méthode d’analyse fondamentale fera ressortir tout de suite que c’est dans cette période du dernier trimestre de 2008, que la crise financière s’est amplifiée avec la chute du mastodonte Lehman Brothers. Mais en lieu et place d’une étude minutieuse pour en déterminer une éventuelle corrélation, nos éminents prévisionnistes ont préféré se contenter du mirage de la croissance observée en prenant pour référence les valeurs de ces deux indices en 1998, dans l’optique de convaincre l’opinion que la BRVM n’est pas directement impactée par cette crise.
Le signal qui viendra porter une grande contradiction à leurs propos de « financiers très sereins », ce sont les résultats de la fin de l’année 2009. La dégringolade de ces deux indices s’est d’avantage amplifiée, le BRVM 10 a terminé son parcours annuel avec une estimation de 143.7 points, et le BRVM Composite a brandit les 131.98 points, soit d’importants replis de 25.19 % et 25.92 % avec fin 2008 comme année de référence. Comme nous le voyons si bien, le mouvement de chute est bel et bien réel. Et les autres indices sectoriels n’en n’ont pas été épargnés. L’année 2009 a été, nous le dirons très morose sur l’ensemble du marché boursier de l’UEMOA. Et les chiffres nous donnent raison. La quasi totalité des indices a terminé l’année dans le rouge, avec des baisses très significatives :
– BRVM Industrie : – 31.64 % – BRVM Services publiques : – 9.23 % – BRVM Finances : – 43.56 % – BRVM Transport : – 20.11 % – BRVM Agriculture : – 49.54 % – BRVM Distribution : – 12.41 % – BRVM Autres secteurs : 0.00%
Au risque d’être alarmiste, il y a lieu tout de même d’attirer l’attention des investisseurs actifs sur ce marché que la tendance est fortement baissière. Elle peut ne pas être directement liée à la tension régnant actuellement sur les places financières internationales, mais toujours est-il que l’on gagnerait à se rendre compte de l’évidence du mouvement de baisse, pour l’insérer dans le portefeuille de prise de risques.
Il serait actuellement un peu hasardeux de se lancer dans des prévisions des prochaines tendances de ces indices. Le mieux serait d’attendre patiemment la publication des résultats du deuxième semestre de l’année 2009, les états financiers annuels et la situation socio-économique en Côte d’Ivoire ; le pays d’hébergement de la BRVM. Ces derniers temps, on a eu écho d’une éventuelle fermeture de l’entreprise réalisant le plus gros chiffre d’affaires en Afrique de l’Ouest ; la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR), entreprise pétrolière ayant des relations d’affaires très importantes avec plusieurs entreprises cotées à la BRVM, notamment SHELL CI, TOTAL CI, la SMB, et bien d’autres.
Les inquiétudes se lisent dans les commentaires de beaucoup d’investisseurs opérant sur cette place boursière, estimant que l’arrêt des activités de cette gigantesque raffinerie aura de grosses répercussions sur les cours de plusieurs sociétés cotées. Espérant que le scénario de Septembre 2008 qui a fait exploser Wall Street par le biais de la chute de Lehman Brothers ne se reproduira pas dans l’espace UEMOA en perturbant d’avantage cette envolée que semble amorcer l’indice BRVM 10.
Loh Damas
Analyste Boursier Indépendant
Ingénieur Conseil en Finance