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La finance “comportementale” : une révolution dans la théorie financière ?

La finance “comportementale” : une révolution dans la théorie financière ?




La crise actuelle va certainement accélérer la remise en cause de certains modèles de la théorie financière.

En effet, la théorie classique s’intéresse avant tout à l’équilibre des marchés. L’analyse en terme de risque-rentabilité, développée par Markowitz et Sharp s’est concrétisée par la mise en place d’un modèle d’Equilibre des Actifs Financiers » (MEDAF) ou en anglais, CAPM (« Capital Asset Pricing Model »). Celui-ci suppose que les investisseurs soient rationnels, guidés par un souci d’optimisation économique et, de ce fait, considère que toutes les informations pertinentes soient intégrées dans les prix des actifs; par conséquent, il est alors impossible de prévoir l’évolution de ces prix dans le futur, en se référant au passé: les cours suivent un processus aléatoire ou « marche au hasard », selon E.Fama. Par ailleurs, les modèles d’évaluation des options (Black et Scholes) s’appuient sur des hypothèses simplificatrices, telles que la loi normale (Courbe de Gauss) des probabilités d’occurrence.
Pour simplifier, on peut affirmer que la finance classique, comme les mathématiques euclidiennes, ne s’intéresse qu’aux mécanismes d’équilibre des marchés, en s’appuyant sur l’hypothèse de rationalité des investisseurs.

La révolution « einsteinienne » de la finance « comportementale » (ou de la finance « cognitive ») vient de la prise en compte des acteurs de la finance, « les traders » ou « les gérants » de fonds. On s’est aperçu, à travers des études empiriques, que ceux-ci étaient victimes de nombreux biais, tels que : l’attitude vis-à-vis du risque, l’asymétrie des réactions face à des gains ou des pertes, le concept de « regret » en cas de décision désagréable (achat ou vente de titres à perte). Ainsi que l’a découvert le Prix Nobel G.Akerhof, dans les années 50, les êtres humains privilégient les croyances qui les arrangent, pour diminuer leur anxiété vis-à-vis de l’avenir. De même, on a constaté que les traders changeaient leur mode de décision, non en fonction de critères objectifs (données macro-économiques ou micro-économiques nouvelles), mais en fonction des bonus qu’ils pourraient encaisser en fin d’année.
Mais une des leçons les plus intrigantes de la finance « comportementale » provient de la remise en cause de la marche au hasard des cours boursiers. En fait, les marchés ont de la mémoire, ce qui explique le succès de l’analyse technique, considérée par la finance classique comme superficielle et non fondée scientifiquement. De même, la loi de Gauss est une simplification du monde réel. Les mécanismes financiers ne peuvent pas être modélisés aussi facilement. Ainsi les évolutions des cours boursiers peuvent être décrites d’une façon plus satisfaisante, si on suit une approche « fractale » (les courbes ont une forme identique à des échelles différentes : l’intra-day, la semaine, le mois, l’année) comme l’a démontré B.Mandelbrot.

Finalement, la prise en compte des biais des acteurs de la finance (développement actuel d’une nouvelle science « la psychologie des émotions » appliquée aux décisions des traders ou des gérants de « fonds »), de même que leur interaction (études des phénomènes de « panurgisme » dûs aux comportements moutonniers des décideurs) est en train de modifier profondément la connaissance dans ce domaine.
C’est comme si la finance était en train de connaître une sorte de révolution « copernicienne ».

Bernard MAROIS
Professeur Émérite HEC PARIS
Président du Club Finance HEC