Le grand thème de discussion des soirées parisiennes tourne autour du montant du “Grand Emprunt” ; 20, 50 ou 100 milliards d’euro ? L’Elysée a indiqué récemment qu’il devrait plutôt se situer dans la fourchette 25-50 milliards et Alain Juppé parle de 35 milliards.
Le premier point à souligner, c’est que cet emprunt quel que soit son montant, va augmenter l’endettement de la France, qui dépasse déjà 75% du PIB. D’où une première question : quel est l’endettement optimal d’un pays ? Le traité de Maastricht dit qu’il ne doit pas dépasser 60%. Mais ce chiffre, tous les économistes le reconnaissent, est totalement arbitraire. Actuellement, le Japon présente un taux d’endettement de 180%, tout en gardant une notation “triple A” (la meilleure). A la fin des années 1940, les Etats-Unis, aussi bien que la France, ont connu des taux de 200% !
En fait, la bonne réponse est la suivante : le taux d’endettement implique des charges financières annuelles, sous la forme d’intérêts et de remboursement du principal, qui doivent pouvoir être garanties par des ressources suffisantes, provenant soit des recettes fiscales de l’Etat, soit de la vente d’actifs détenus par l’Etat.
Autrement dit, il serait utile de disposer d’un autre chiffre, qui est rarement évoqué, à savoir l’endettement net de la France, égal à l’endettement brut (les 75% mentionnés précédemment), moins les actifs fongibles, c’est-à-dire les biens immobiliers (participations dans des entreprises) ou immobiliers (casernes, terres, etc…) dont l’Etat est propriétaire et qu’il pourrait vendre aisément.
L’autre contrepartie, les recettes fiscales, mérite un point d’explication. Elles peuvent provenir, d’une part, de nouveaux impôts (c’est une mauvaise solution, car elle aboutirait à une diminution du pouvoir d’achat net des citoyens français et donc de la consommation future) et, d’autre part, d’un supplément de croissance créé par l’investissement productif, financé par l’endettement.
En effet les profits supplémentaires qui en découlent engendrent des recettes fiscales additionnelles, qui servent, en partie, à assurer la charge financière des emprunts de l’Etat.
Et on en arrive donc au point essentiel : l’endettement supplémentaire doit servir à financer des investissements productifs et non pas des dépenses de fonctionnement. Rappelons, pour illustrer ce point, que la somme des aides publiques versées aux entreprises depuis 5 ans a dépassé 65 milliards, sans que ces dépenses aient entraîné une croissance supérieure à la moyenne de l’économie française, dont la compétitivité n’a pas été améliorée, malgré ces montants considérables.
Par conséquent, avant de fixer le montant du “Grand Emprunt”, il faut commencer par identifier les secteurs et les projets prioritaires, et par estimer l’ajout de croissance que ceux-ci amèneront. C’est une démarche similaire à celle d’une entreprise, qui emprunterait pour financer son développement, et présenterait à son banquier un échéancier, qui prévoit les rentrées d’argent subséquentes que lui apporteront ces nouveaux projets : le banquier n’acceptera de financer que si les cash flows futurs sont suffisants. Certes l’exercice est plus difficile pour un Etat, compte-tenu des incertitudes inhérentes à la macro-économie, mais cela vaut la peine au moins d’essayer. Il sera ensuite plus facile d’arriver à un montant optimal.
Quant à l’endettement total de la France, ce n’est pas tant son montant qui est un problème, que sa rigidité.
Dans la mesure où, même en période de forte croissance, notre pays est incapable de dégager un excédent budgétaire (nous sommes en déficit depuis 1979 !) nous n’avons aucune flexibilité pour l’avenir. Le diagnostic est malheureusement simple : la France est incapable de faire baisser durablement les dépenses publiques (L’Etat, plus les collectivités territoriales) !
A titre de comparaison, le Canada a su baisser ses dépenses publiques de 25% en 15 ans, ce qui lui a permis de diminuer sa dette d’environ 30%. Un exemple à méditer.
Bernard Marois
Professeur Emérite
Président du Club Finance