Il existe une nécessité, pour nos économies, de passer d’un modèle fondé sur la prééminence du financement par le crédit à un modèle de financement de notre développement fondé sur la saine accumulation de capital.
La fragilité des banques et leur faiblesse en fond propres n‘étant jamais apparues aussi criantes depuis 1929, l’intérêt d’un modèle de financement des banques par une proportion accrue de capital est évident. Il l’est aussi pour les entreprises ordinaires: plus de dettes signifie plus de besoins de trésorerie en cas de conjoncture de resserrement du crédit, et donc une situation plus risquée pour nombre d’entreprises.
Des économistes (nobélisés depuis) ont montré que dans un marché théorique “parfait”, il n’y a absolument aucun intérêt à appliquer un effet de levier au capital, car la dégradation du ratio dette/fonds propres qui en résulte pousse à la hausse les rémunérations exigées des parties prenantes au détriment de la formation de capital dans l’entreprise, gage de gains à long terme. Si l’usage du levier apparait comme tellement rentable actuellement dans les entreprises, c’est à causes d’asymétries favorables au crédit, et notamment la distorsion fiscale entre crédit et capital: les intérêts versés aux créanciers sont généralement une charge déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, alors que les dividendes versés aux actionnaires ne le sont pas. Divers économistes, comme Robert Hall et Alvin Rabushka, proposent d’en finir avec cette discrimination fiscale.
La crise actuelle est en train d’ajouter une très grave distorsion en faveur de l’endettement des institutions financières et contre leur croissance par le capital: ce sont les plans de sauvetage, les “bailouts”, d’institutions financières en faillite telles que Fannie Mae et Freddie Mac, ou AIG, ainsi que toutes les garanties implicites ou explicites apportées par les états aux institutions financières…
En effet, lors de ces opérations, les anciens actionnaires sont laminés, fort logiquement puisque les sociétés sauvées sont en faillite, alors que les créanciers sont assurés de récupérer l’intégralité de leur créance par l’intervention forcée du contribuable, au lieu d’avoir à supporter une part des pertes. A l’opposé, en cas de faillite “normale”, la part de pertes supportée par les créanciers est plus faible que celles subies par les actionnaires, mais ils en prennent une part tout de même.
Conclusion que risque d’en tirer tout investisseur qui se respecte: mieux vaut prêter de l’argent aux grandes institutions financières que d’y investir son capital, car le prêt peut bénéficier, si le contexte politique est favorable, d’une garantie implicite du contribuable. Par conséquent, les institutions financières risquent d‘éprouver certaines difficultés à drainer plus de fonds propres ! D’autant plus que les investisseurs potentiels en capital, échaudés par la crise actuelle, vont certainement demander une “prime de risque” supplémentaire : Ils sauront que les dirigeants bancaires ne sont jamais aussi imprudents que lorsqu’ils bénéficient d’une garantie implicite ou explicite de l‘état. Cette prime de risque, sous forme de dividendes plus élevés, obèrera leur capacité à conserver sous forme de fonds propres une part suffisante de leur résultat.
Pour le monde financier, les plans de sauvetage massifs des états agiront comme une véritable pilule empoisonnée: ils ont peut être évité quelques faillites à court terme, mais pour mieux prolonger l’addiction au crédit des banques, et l’exposition au risque qui l’accompagne. Un bailout est aux banques ce qu’un shoot massif d’héroïne est au drogué en manque: cela calme provisoirement sa douleur, mais un jour, l’overdose l’emportera.
Voilà pourquoi, si le système bancaire a tenu lors de la crise de septembre octobre, il faut s’attendre à des répliques prochaines du tremblement de terre qui a secoué le monde de la finance, répliques qui pourraient gravement secouer quelques établissements réputés insubmersibles.
Et surtout, cette culture du “bailout” freinera, voire empêchera les évolutions souhaitables du monde de la finance vers un modèle de capitalisme fondé sur… La formation de capital, justement.
Vincent Benard