Depuis plusieurs années, l’euro est surévalué par rapport aux grandes monnaies (dollar, livre, yuan, yen, etc) et cela d’une façon durable.
Par exemple, l’euro vaut actuellement environ 1,45 dollar, alors que sa parité devrait s’établir intrinsèquement aux alentours de 1,15 dollar.
Expliquons d’abord pourquoi l’euro est structurellement fort.
Premier point : il n’existe pas de gouvernement économique de la zone euro, mais un ensemble d’états souverains, avec des intérêts nationaux parfois divergents (cf. l’opposition fréquente de la France et de l’Allemagne sur la définition d’une politique de change pour la zone euro).
Second point : les gouvernements ne disposent plus de la politique monétaire en tant qu’arme pour intervenir sur le marché des changes. En effet, celle-ci est du ressort de la Banque Centrale Européenne (BCE) dont la mission, spécifiée par le Traité de Maastricht, consiste à contrôler l’inflation potentielle.
Par conséquent, Jean Claude Trichet et ses collègues ont tendance à augmenter les taux d’intérêt à court terme, dés que les prix à la consommation commencent à s’élever ; ce faisant, ils favorisent une hausse mécanique de l’euro, en augmentant la rémunération implicite dont celui-ci va bénéficier, compte-tenu de la progression du taux d’intérêt.
Et il n’y a aucune raison que cela change prochainement, puisque les changements institutionnels dans l’Union Européenne (UE) provoquent toujours des oppositions, d’autant plus obstructrices que l’UE comprend désormais 27 pays (et la zone euro 16). La BCE ne devrait donc pas changer de cap avant longtemps ; sa localisation à Francfort renforce encore cette tendance (on sait que les Allemands sont terrorisés, pour des raisons historiques, par le mot “inflation”).
Dans ces conditions, quelles sont les conséquences d’un euro fort pour l’économie française ? Une analyse superficielle nous indique que l’impact est fortement négatif. En effet, nous avons plus de mal à exporter et, inversement, les importations rentrent plus facilement en France ; cette situation entraîne à moyen terme, une baisse de l’emploi provoquée par des délocalisations inévitables et, parallèlement, une certaine désindustrialisation.
Cependant, l’euro fort a une incidence aussi positive : il permet à nos entreprises de s’implanter à l’étranger à bon compte, ce qui aboutit, de nouveau à moyen terme, à des exportations supplémentairement vers les nouvelles filiales étrangères (composants, matériel d’équipement, services annexes, etc) et des rentrées de dividendes en France. D’un point de vue comptable, l’augmentation du déficit de notre commerce extérieur est compensé par une augmentation des exportations de services et des transferts de produits financiers (dividendes) si bien que notre balance courante se rééquilibre.
Par contre, le risque de désindustrialisation subsiste. Il ne peut être combattu que par un effort supplémentaire en faveur de la recherche, pour augmenter le contenu technologique des produits fabriqués en France et renforcer nos avantages comparatifs (industrie nucléaire, spatiale ou aéronautique, par exemple).
D’un point de vue de politique intérieure, cela implique plusieurs initiatives : d’abord accepter la perspective d’un euro durablement fort, puisque les conditions ne sont pas réunies pour modifier cet état de fait. Ensuite, bien expliquer la situation aux français, en particulier par une désacralisation de la balance du commerce extérieur, au profit d’une mise en exergue de la balance des opérations courantes (qui inclut les services financiers et autres).
Enfin accélérer la mise en valeur de notre recherche, en augmentant les moyens à sa disposition. Cela englobe nos efforts en matière d’enseignement supérieur, parent pauvre de notre développement (cf. le classement de Shanghaï où nos universités font triste mine), à une époque où celui-ci devient essentiel pour l’avenir de notre pays.
Bernard Marois
Professeur Emérite HEC
Président Club Finance HEC