Directeur depuis 5 ans et demi de la Barclays, Marcus Agius démissionne suite au scandale de la manipulation de l’indice LIBOR. Cette affaire sonne sans doute le glas d’un indice qui entre en jeu dans les valeurs de 350 000 milliards de dollars de produits financiers. Chronique de ce qu’on appelle désormais le « liborgate ».
Qu’est-ce que le LIBOR ?
LIBOR est la contraction des mots anglais London Interbank Offered Rate (« taux interbancaire offert à Londres »). Le LIBOR permet de connaître le taux d’intérêt des prêts entre les banques.
Chaque jour, certaines banques disposent de liquidités qu’elles n’utilisent pas, alors qu’à l’inverse, d’autres en recherchent. Les banques se prêtent donc de l’argent entre elles pour des durées allant d’un jour à un mois, soit directement, soit en passant par des brokers. C’est ce marché que l’on appelle le marché interbancaire.
Plus les banques se font confiance (c’est-à-dire plus celles-ci sont sûres de voir leurs prêts remboursés), plus le taux d’intérêt est faible. Par exemple, le taux d’intérêt à la journée sera plus faible que le taux sur un an car, pour les longues duréessont jugées plus risquées.
En fait, il n’existe pas un LIBOR, mais … 150 ! En effet, on le calcule pour 15 durées et pour 10 monnaies.
Pour bien comprendre l’ampleur du scandale actuel, il faut garder en mémoire que le LIBOR est un indice de référence de la finance. De façon plus ou moins directe, les taux d’intérêt d’environ 350 000 milliards de dollars de produits financiers très divers (prêts commerciaux, prêts hypothécaires, emprunts obligataires, prêts étudiants…) sont calculés à partir du LIBOR.
Comment le LIBOR est calculé
Le LIBOR n’est pas basé sur des transactions réelles, car les banques n’empruntent pas forcément de grosses sommes tous les jours.
Chaque matin à 11 heures, un panel de banques basées à Londres indiquent à quel taux elles pensent pouvoir obtenir un prêt important sur le marché interbancaire. Le quart des valeurs les plus hautes et le quart des valeurs les plus basses ne sont pas pris en compte, histoire d’éliminer les aberrations.
Enfin, l’association des banquiers britanniques, la British Bankers’ Association (BBA) publie la moyenne des valeurs restantes.
Comment le LIBOR a été manipulé
Comme on le voit, le calcul de l’indice repose sur les déclarations des banques. Les banques peuvent donc annoncer une valeur qui les avantage et/ou se regrouper en cartel pour peser sur le LIBOR.
Le scandale actuel autour de Barclays a commencé par UBS et risque maintenant de toucher de nombreuses autres banques.
L’enquête et la saisie des données de la Barclays ont révélé quelques emails aussi croustillants que dégoûtants. Par exemple, le 26 octobre 2006, un trader externe fait une demande pour un LIBOR 3 mois dollar US plus bas. Ce trader écrit au Trader G. de la Barclays :
« Si ça revient inchangé, je suis un homme mort ».
Trader G. répond qu’il va « avoir une discussion ». Le LIBOR soumis ce jour-là par la Barclays pour du dollar US 3 mois est un demi point de base inférieur à celui de la veille, plutôt qu’inchangé. Plus tard dans la journée, le trader externe remercie le Trader G. du LIBOR soumis par la Barclays :
« Mec, je te dois une fière chandelle ! Passe un de ces quatre et j’ouvre un bouteille de Bollinger. »
D’autres échanges de ce type sont consultables dans un document de la FSA.
Qui a manipulé le LIBOR ?
Les doutes autour du LIBOR ne sont pas nouveaux et remontent à plusieurs années. Les organismes de régulation financière de différents pays ont déjà enquêté sur les plus grandes banques à ce sujet.
Dans quel but ?
On peut distinguer trois motifs principaux pouvant pousser les institutions bancaires à tricher sur le taux annoncé.
Pour dissimuler leur fragilités. Après la faillite de Lehmnan Brothers en 2008, la solvabilité de certaines banques comme UBS sont incertaines. Elles empruntent donc pour se renflouer en liquidités. Si les autres banques font preuve de défiance vis-à-vis de celles-ci, les taux qui leur seront proposés seront plus élevés que le marché. Pour ne pas perdre en crédibilité, elles ont donc tout intérêt à prétendre emprunter à un taux plus faible.
Pour gagner de l’argent sur les produits dérivés. Théoriquement, les activités de marché et de financement des banques sont séparées par le fameuse « muraille de Chine ». Cela signifie qu’absolument aucune informations ne passe d’un service à l’autre. Cependant, dans le cas du LIBOR, les traders de banques comme le Credit Suisse, la Deutsche Bank, la Société Générale, Citigroup et Barclays ont pu faire fournir à leur banque des valeurs leur permettant de faire des plus-values.
Pour prévoir le cours du LIBOR. Toujours en théorie, il est impossible de prédire précisément l’évolution d’un indice. Dans le cas d’un cartel entre banques, cela permet d’anticiper et ainsi réaliser de belles plus-values.
Comment améliorer le LIBOR
La BBA, pourtant à l’initiative du LIBOR en 1986, a réfléchi à son amélioration lors d’une réunion à Londres. Confier l’établissement du taux à un organisme indépendants ou le lier à des indices ou des paniers d’indices donnerait au LIBOR une plus grande transparence.
Lydie Berget