Les investisseurs particuliers qui utilisent le price earning ratio comme critère d’appréciation doivent le manier avec beaucoup de dextérité pour en faire un bon outil d’anticipation.
Avec la publication des premiers résultats semestriels à la fin du mois de juillet, le marché boursier va avoir l’occasion de vérifier si ses anticipations ou, au moins, celles des analystes financiers sur l’évolution des profits des entreprises pour l’ensemble de l’exercice 2008 méritent ou non d’être ajustées compte tenu des effets difficilement quantifiables de la crise financière sur l’économie réelle. L’analyse des comptes du premier semestre sera instructive à cet égard, mais il faudra surtout lire avec beaucoup d’attention, dans les communiqués des sociétés, la partie consacrée (s’il y en a une !) aux perspectives afin d’y déceler quelques points de repère utiles pour l’avenir.
Jusqu’à la fin du printemps 2007, la tendance de fond ne posait pas de problème: elle restait bonne. Une cinquième année consécutive de hausse des bénéfices se profilait en effet à l’horizon, ce qui crédibilisait la nouvelle progression des cours des actions françaises au cours du premier semestre. On se demandait toutefois si le rythme de hausse – environ 10 % en six mois en prenant pour référence l’indice CAC 40 – n’était pas exagéré et pouvait être maintenu dans la durée. Car si l’abondance des liquidités et l’effervescence liée aux opérations de fusion-acquisition et aux rumeurs d’OPA-OPE contribuaient alors à doper les cours, encore fallait-il que les valorisations boursières les plus généreuses soient étayées par des perspectives de croissance toujours prometteuses et des objectifs de marge attrayants.
Or, après une phase de redressement spectaculaire depuis le dernier creux de 2002, les profits des sociétés étaient appelés, il y a un an déjà, à croître plus modérément, voire à plafonner au stade de maturité du cycle où ils se situaient à l’époque. Les marges bénéficiaires n’étant pas extensibles à loisir du fait de la concurrence, il fallait donc essentiellement compter sur un surcroît d’activité pour assurer une nouvelle augmentation des résultats.
Mais, dans sa hâte à se rapprocher de son sommet historique de septembre 2000, le marché parisien avait commis l’erreur de négliger plusieurs facteurs susceptibles d’avoir un impact négatif sur la rentabilité : la remontée insidieuse des taux d’intérêt, la hausse persistante du coût de l’énergie et des matières premières et la fermeté de l’euro qui se traduit, pour les groupes les plus internationalisés et dépendants du billet vert, par une variation négative des écarts de conversion de changes.
Certes, les plus optimistes se rassuraient en se disant que, après tout, les valorisations étaient loin d’être excessives, puisque les actions entrant dans la composition du CAC 40 se payaient au début de l’été 2007 autour de 15 fois les bénéfices estimés pour l’exercice 2007 alors que, en comparaison, le rendement de l’OAT à dix ans aurait théoriquement permis un multiple de capitalisation supérieur à 20. On connait la suite : la crise des subprimes a provoqué, en moins d’un an, des ajustements très douloureux sur toutes les places boursières.
Ainsi, d’après les calculs réalisés par FactSet JCF sur les estimations de bénéfices pour 2008, le PER (price-to-earnings ratio) moyen des valeurs du CAC 40 était retombé au début du mois de juin au-dessous de 12. Ce niveau nettement plus attrayant ne poussait cependant pas les acheteurs à revenir en force, la prolongation de la crise financière, le ralentissement de la croissance économique et le regain d’inflation entretenant au contraire un climat de méfiance très dur à dissiper.
Interprété d’un point de vue statique, le PER n’est donc pas parole d’évangile. Il peut même être trompeur. Les investisseurs particuliers qui utilisent souvent ce critère d’appréciation doivent le manier avec beaucoup de dextérité pour en faire un bon outil d’anticipation et d’aide à la décision. Car un PER moyen est bâti sur des prévisions forcément aléatoires et, derrière un consensus, se cachent souvent de gros écarts. Ainsi, toujours d’après les travaux de FactSet JCF, celui de EDF était, début juin 2008, supérieur à 25 alors que celui de Renault dépassait à peine 6.
Bref, une très grande différence d’appréciation entre les deux valeurs. Le titre EDF a beau apparaître très cher comparé à Renault sur la base des estimations de résultats pour 2008, le profil boursier du géant français de l’électricité est pour le moment beaucoup plus séduisant que celui du constructeur automobile. Tout bonnement parce que les valeurs énergétiques sont, aux yeux des investisseurs, nettement moins exposées à une baisse de rentabilité que celles du secteur automobile.
Un PER élevé n’est donc pas nécessairement dissuasif s’il repose sur le pari d’une forte croissance des résultats à venir, de même qu’un PER très faible ne constitue pas une incitation systématique à l’achat si les perspectives bénéficiaires sont floues ou tendent à s’assombrir.
L’essentiel, en définitive, est de ne pas se tromper de timing. A titre d’exemple, le multiple de capitalisation de plus en plus élevé de Soitec parallèlement à une montée en flèche de son cours se justifiait en 2005 et jusqu’en 2006 en prévision d’un bond en avant des bénéfices du numéro un mondial des plaques de silicium sur isolant destinées à l’industrie des semi-conducteurs. Une prévision devenue réalité au cours de l’exercice clos le 31 mars 2007. Le PER de Soitec a en revanche perdu toute signification depuis que la société se trouve confrontée à une chute de son activité et subit des pertes. Comme quoi il est bien difficile de ne pas perdre les fils du PER !
Eric Dadier
Administrateur de la FFCI
Président de l’Institut d’épargne immobilière et foncière (IEIF)