Globalement, le marché actions a connu depuis le début de l’été une contraction moyenne de 25%. Ainsi, le CAC 40 est passé d’environ 4 000 à 3 000 en moyenne (fourchette : 2 800 -3 200). L’explication est évidemment simple : l’absence de confiance des investisseurs, minée par deux incertitudes majeures : le risque d’un « double dip » de l’économie mondiale, d’une part, et le risque de l’éclatement de la zone euro, d’autre part.
Sur le premier point, il suffit de rappeler quelques chiffres : selon le FMI, la croissance américaine n’atteindra que 1,5% en 2011 (au lieu de 2,5% prévus) et 1,8% en 2012 (au lieu de 2,7%). Quant à la zone euro, elle ne progresserait que de 1,6% en 2011 et 1,1% en 2012. Par ailleurs, les pays émergents (et en particulier la Chine) voient également leur croissance ralentie. En ce qui concerne les pays industrialisés, ce qui est en point de mire, c’est une situation à la japonaise, avec une croissance molle tendant vers zéro.
En d’autres termes, le spectre de la déflation n’est pas totalement écarté. Quant aux mesures disponibles pour contrer ce risque, elles sont de plus en plus restreintes : il est d’ores et déjà difficile de baisser les taux d’intérêts, car ils se situent au minimum (taux d’intérêts réels négatifs !) ; en ce qui concerne la création monétaire (Quantitative Easing III aux Etats-Unis), elle n’est pas très efficace car aboutissant à constituer des bulles financières (or, matières premières, cash) sans pour autant alimenter l’inflation potentielle, puisque des taux de chômage pèsent sur d’éventuelles augmentations de salaires.
En outre, la plupart des pays se sont engagés dans des politiques de rigueur, destinées à faciliter le désendettement, mais cause également de stagnation économique. Et, par conséquent, ce premier point, chute de la croissance, interfère fortement avec le second point, nécessité de mettre en œuvre des politiques de désendettement.
Clairement, une expansion économique faible entraîne moins de recettes fiscales, donc la persistance d’un déficit budgétaire et donc, mécaniquement, une augmentation de la dette publique.
N’oublions pas que l’endettement actuel présente trois caractéristiques particulièrement inquiétantes, car concomitantes :
Il est généralisé à pratiquement tous les pays industrialisés (100% du PIB pour les Etats-Unis, 90% pour la zone euro, 220% pour le Japon, etc.) ;
Il est élevé, selon une analyse historique, pour une période sans guerre ;
Il est complété par un endettement bancaire et privé également très élevé (230% du PIB japonais ; 220% du PIB britannique ou français ; 200% du PIB américain, etc.). En plus, il s’inscrit dans un contexte de ralentissement économique, comme il a été indiqué précédemment.
On peut rajouter que la chute boursière est encore plus sensible dans la zone euro, car celle-ci connait un problème additionnel (troisième cause de baisse, après le ralentissement économique et l’endettement excessif) qui est l’avenir incertain de la zone euro elle-même, dans son périmètre actuel.
Le cas de la Grèce est vraiment désespéré :
Un endettement de 165% du PIB, en hausse constante, dû à l’impossibilité de comprimer le déficit budgétaire (9% du PIB), car les recettes fiscales sont en baisse (la récession dépassera 6% du PIB en 2011 !) ;
Le système fiscal est totalement chaotique, les grandes fortunes grecques sont installées à l’étranger ;
Les privatisations sont difficiles, car les entreprises mises en vente sont surendettées.
Il est évident que les investisseurs redoutent une faillite de la Grèce, qui pourrait-être suivie d’un retrait de ce pays de la zone euro, avec un risque de contagion certain au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie.
Le plus grave, c’est que les PIGS ont perdu beaucoup de compétitivité depuis 10 ans. Ainsi les salaires grecs ont augmenté de 35% par rapport aux salaires allemands et les salaires espagnols de 28% !
D’un point de vue économique, la remise à niveau de ces pays implique des transferts supérieurs à 2 000 milliards d’euros sur 5 à 10 ans (c’est un minimum !). En fait cela représente 2 à 3 fois le montant des capitaux versés par l’Allemagne de l’Ouest à l’Allemagne de l’Est pour réunification. On conçoit l’aversion des Allemands pour remettre la main à la poche.
Alors de bons esprits proposent d’accélérer l’intégration européenne en citant en exemple le fédéralisme américain. Sauf qu’il y a quatre énormes différences entre les Etats-Unis et la zone euro. Celle-ci est composée d’Etats souverains disposant de cultures de langues et de traditions politiques très variées ; rien à voir avec les USA homogènes et de langue anglaise. Deuxièmement, le budget fédéral américain dépasse 12% du PIB, contre 1% pour l’Union Européenne : les transferts inter-étatiques ne sont donc pas comparables.
Troisièmement, les Etats américains n’ont pas le droit d’avoir des budgets en déséquilibre (en conséquent, la dette de la Californie, par exemple, est inférieure à 15% du PIB californien, soit dix fois moins que la Grèce !).
Enfin le processus de décision américain est beaucoup plus rapide et réactif que son homologue européen, qui doit passer par de multiples cénacles (Etats, BCE, Commission, FESF, etc.) et peut être bloqué par la mauvaise volonté d’un membre (nécessité de l’unanimité).
Bref, le temps des marchés, de plus en plus rapide, n’a rien à voir avec le temps des décideurs (multiples) européens : ceux-ci s’efforcent de courir derrière les évènements, quitte à être dépassés par les péripéties de l’actualité.
Tout ce contexte permet de comprendre l’aversion au risque, actuellement maximale, des investisseurs. Changer cette configuration négative prendra certainement beaucoup de temps.
Bernard Marois
Professeur Emérite HEC PARIS
Président d’Honneur du Club Finance HEC