Nouriel Roubini, alias « Docteur Doom » avait anticipé dès les années 2000 la crise des subprimes aux Etats-Unis. Oracle de l’économie, consultant en analyse financière et professeur à l’Université de New York, il a été interrogé samedi par Caroline Connan pour Bloomberg TV au sujet du scandale de la manipulation du LIBOR, du devenir de la zone euro et de ses prévisions économiques pour l’année 2013.
CC : Est-ce que l’affaire du LIBOR est un problème dû à la culture dans le milieu de la banque? Que va-t-il changer à ce niveau ?
NR : Les banques gagnent encore beaucoup à tricher et d’agir soit de façon illégale, soit de façon immorale. La seule façon d’éviter cela est de démembrer ces supermarchés de la finance. Lorsque la banque commerciale, la banque d’investissement, la gestion d’actif, l’assurance, la garantie d’émission, les produits dérivés … sont regroupés, il n’y a plus de Muraille de Chine qui tienne, et il y a des conflits d’intérêts immenses.
Les banquiers sont avides. Ils l’ont été depuis des siècles. La question n’est pas de savoir s’ils le sont plus aujourd’hui qu’il y a mille ans. Il s’agit de minimiser ces risques. Une façon de faire cela est de séparer les différentes activités des banques afin de limiter ces conflits d’intérêts.
Sinon, ce genre de choses arrivera encore et encore.
CC : Pensez-vous que des sanctions pénales doivent être prises ?
NR : Oui, personne n’est allé en prison depuis la crise. Les banques agissent de façon illégale […]. Si quelqu’un finissait derrière les barreaux, peut-être que cela donnerait une leçon aux autres.
CC : Pensez-vous que la culture dans le milieu de la banque va changer à la suite de ce scandale ?
Rien ne va changer. Les conflits d’intérêts vont empirer.
[NdT : De nombreuses banques américaines ont fusionné pendant la crise : JPMorgan et Washington Mutual, Bank of America et Merrill Lynch. Encore plus grosses qu’auparavant, le risque de conflits d’intérêts est d’autant plus élevé.]
CC : Pensez-vous que les mesures prises lors du sommet européen concernant l’Espagne et probablement l’Italie sont suffisantes pour limiter l’impact de la crise de la dette dans la zone euro ?
NR : Ce sommet a été un échec. Si l’on ne veut pas voir le spread de l’Italie continuer à augmenter, il faut soit mutualiser la dette, soit la monétiser.
CC : Qui s’oppose à cette mutualisation en Europe ?
L’Allemagne, bien sûr, mais également l’Autriche et les Pays-Bas.
CC : Vous prévoyez que 2013 risque d’être une année très difficile pour l’économie. Quels sont les risques principaux à votre avis ?
Un enlisement de la zone euro, un ralentissement du côté des Etats-Unis, un atterrissage difficile en Chine et sur les marchés émergents ainsi que la guerre au Moyen-Orient qui pourrait faire doubler le cours du pétrole .
CC : Le scénario est-il pire qu’en 2008 ?
NR : Oui. Il s’agit également d’une crise économique et financière […] mais maintenant, on ne peut plus renflouer les banques sans rencontrer d’opposition politique, les états ne sont de toute façon plus solvables et nous sommes à court de mesures politiques.
Si les marchés et l’économie s’effondrent, nous n’avons plus de filet de sécurité ni de mesures à mettre en place pour tenter d’absorber les chocs parce que, ces 4 dernières années, nous avons déjà tenté 95% de ce que nous pouvions faire.
CC : Pensez-vous que 2013 sera l’année de la fin de l’euro ?
NR : Je ne pense pas que la zone euro éclatera en 2013 mais, en revanche, je crois que la Grèce abandonnera l’euro cette année-là, éventuellement précédée de la Finlande et de l’Italie. J’estime à 40 ou 50 % la probabilité de voir la zone euro s’effondrer dans les quatre prochaines années.
Transcription et traduction : Lydie Berget.