Les principales caractéristiques d’une épidémie est d’être à la fois soudaine (difficile à prévoir) et contagieuse (à dimension mondiale). Ainsi en fut-il de la grippe « aviaire » (en 2007) ou de la grippe « porcine » (il y a quelques semaines).
Une comparaison s’impose alors avec les crises financières, souvent mal anticipées et malaisées à limiter dans l’espace, malgré les théories diverses de « décorrélation » évoquées par les analystes.
La prochaine « épidémie » financière pourrait bien se déclencher prochainement avec les CDS (Credit Default Swaps), en tant que « virus de contamination ». En effet , sur les 680 000 milliards de dollars d’encours de produits dérivés actuellement enregistrés au niveau international, les CDS représentent plus de 38 000 milliards, selon les chiffres fournis par l’ISDA ( International Swaps & Derivatives Association). Certes, le montant à risque (c’est à dire, des encours susceptibles de faire l’objet de défaut de paiement) est beaucoup moins élevé, compte- tenu des nombreuses opérations de revente visant les mêmes contrats. Toutefois, en raison de l’opacité totale de ces opérations, la fourchette statistique est très large : entre 4 000 et 1 500 milliards de dollars ! Il faut savoir que la faillite d’AIG est en grande partie liée à ces CDS, à travers la filiale AIG Financial Products : 150 milliards se sont évaporés en quelques semaines.
D’une façon similaire, Lehman Brothers avait aussi été un acteur important de ce marché. La croissance des encours de CDS a été exponentielle : 1 500 milliards en 2002 (à l’époque, le taux de défaut n’était que de 10.7%). Aujourd’hui, alors que les montants se rapprochent du chiffre de 40 000 milliards (certains affirment même qu’on est proche de 60 000 milliards de dollars), 40% des CDS vendus concernent des sociétés ou des titres cotés comme « spéculatifs » ! , donc susceptibles de faire défaut plus facilement.
Et ce n’est pas tout. En plus de l’opacité des opérations, les CDS aboutissent à une dissémination totale du risque. En effet, les banques acheteuses de CDS (donc de couverture du risque) ont trouvé des vendeurs dispersés dans le monde entier : « hedge funds », fondations, SICAV spécialisées, assureurs, qui en cas de défauts de paiement généralisés se retrouveront inévitablement en faillite. Qui plus est, les banques ont crée de nouveaux instruments financiers, les CDO (Collateral Debt Obligations) synthétiques, adossés à leurs contrats de CDS et vendus à des investisseurs du monde entier. Si bien que plus personne ne sait qui porte véritablement le risque de défaut ! Même les banques qui utilisaient les CDS et CDO synthétiques, pour se débarrasser du risque, tout en gardant les créances (donc aussi les revenus y afférents) se rendent compte qu’elles ont récupéré une partie de ces risques à travers des filiales d’asset management. Même des collectivités locales ont acheté ce type de produit, sur les conseils de leur banquier favori.
Que faire pour conjurer cette possible épidémie ? Peu de choses peuvent être entreprises pour juguler les risques liés aux CDS et CDO synthétiques déjà existants (il faudrait commencer par identifier la chaîne des milliers d’intervenants compromis dans ces transactions). Quant aux opérations nouvelles ; elles devraient être enregistrées sur des marchés organisés, d’une part, et être garanties par des dispositifs appropriés (dépôt de garantie, appels de marge, fonds propres supplémentaires), d’autre part. Encore faut-il modifier les règlementations bancaires dans ce sens, ce qui prendra du temps, face aux lobbys des banques qui veulent se garder ce marché juteux.
Espérons qu’entre-temps, l’épidémie n’aura pas fait exploser tous ces beaux projets de réglementation. Dans ce cas, on ne pourra plus invoquer le principe de « mutualisation » des risques, à la base de la création des CDS et des CDO synthétiques, mais assister, avec effroi, « à la contamination irrésistible » de tout le système financier mondial par le « virus CDS-CDO ».
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC Saclay
Président Club Finance