Un bonne note de la part d’une agence de notation, et vous emprunterez de l’argent à bas taux. Une mauvaise note coûte cher.
AAA, Ba3, Ca, CCC … on dirait des notes d’école données par une institutrice hyperactive.
C’est effectivement un système de notation. Les lettres sont attribuées aux gros emprunteurs, comme les entreprises et les gouvernements, et informent l’acheteur de cette dette sur la probabilité de revoir leur argent.
Bulletin de notes
Les agences utilisent différents systèmes de notation, avec moultes lettres :
- AAA ou AAa : 100% sûr. Probabilité de défaut de paiement quasi-nul.
- Jusqu’à BBB ou Baa3, c’est encore assez sûr.
- De BB ou Ba1 à C, c’est un investissement risqué, donc spéculatif. « Junk » (« pourri »), pour les intimes.
- En dessous de C, c’est à éviter à tout prix.
La note détermine aussi le taux d’intérêt qui doit être exigé sur cet emprunt.
Vous avez sans doute aperçu ces fameuses lettres dans la presse pendant la crise de la zone euro.
Un changement de note entraîne une modification du montant que l’emprunteur doit payer à ses créanciers. Cela peut renchérir le coût de l’emprunt quand les investisseurs exigent un rendement plus élevé pour compenser le risque plus élevé.
Mais alors que les emprunteurs sont bien connus (Grèce, Irlande, Espagne, Italie, etc.), les agences de notation, elles, nous sont peu familières. Leur mission est d’évaluer la qualité de la signature des gouvernements (et des entreprises), qui empruntent de l’argent sur les marchés financiers en émettant des oligations.
L’immense pouvoir des agences de notation fait peur. A tel point que la Commission Européenne voudrait les contrôler de plus près, en exigeant notamment une plus grande transparence dans leurs critères de notation.
La Commission les perçoit comme étant hostiles, car les plus influentes sont basées aux Etats-Unis, pays des vilains capitalistes mangeurs d’enfants. Elle verrait donc d’un bon oeil la création d’une agence de notation européenne, plus malléable objective.
Les agences de notation en bref
- Entreprise privées qui évaluent la capacité d’un emprunteur à rembourser ses emprunts
- La note de crédit détermine le taux d’intérêt à exiger sur la dette émise
- Une baisse de la note de crédit fait monter le coût de l’emprunt
Qui sont ces agences de notations ?
Standard & Poor’s
Commençons par la plus vieille, Standard & Poor’s (S&P).
En 1860, Henry Varnum Poor rédige une « Histoire des finances des compagnies de chemin de fer et des canaux aux Etats-Unis », sous la forme d’un guide pour les investisseurs. Il crée avec son fils Henry William la société H.V. and H.W. Poor Co., et ils publient chaque année une édition mise à jour de leur guide.
En 1906, Luther Lee Blake crée le « Standard Statistics Bureau », afin de fournir des informations sur les finances des entreprises hors-rail.
En 1941, les deux entreprises se marient et donnent naissance à Standard & Poor’s Co. Depuis 1966, la société appartient à McGraw-Hill.
Moody’s
Moody’s est créée par John Moody, qui publie lui aussi ses analyses des finances de compagnies de chemin de fer, en attribuant une note à leurs actions et à leurs obligations.
Fitch
Créée par John Fitch en 1913 à New York, elle a grossi au fil des ans, à force d’acquisitions, mais pas au point de concurrencer S&P et Moody’s, qui ont chacune 40% de part de marché.
Fitch est donc la plus petite « Big Three », et joue un peu le rôle de « faiseur de majorité ».
Trois agences seulement ?
Non, il existe une ribambelle d’autres agences de notation, mais leurs noms n’apparaissent presque jamais dans les media.
Mais alors pourquoi les investisseurs n’ont-ils d’yeux que pour ces trois-là ?
Une partie de la réponse est à chercher du côté de la Securities Exchange Commission (SEC), le régulateur de la Bourse américaine.
En 1975, elle reconnaît ces trois agences comme étant d’utilité publique. Cet adoubement du régulateur rend la vie plus facile aux investisseurs ; plus besoin de faire d’analyse financière, les agences de notation s’en sont déjà chargées. Et le régulateur a donné sa bénédiction.
Cet oligopole de fait se trouve encore renforcé par le fait que certains fonds d’investissement réglementés sont contraints par la SEC de n’investir que dans des obligations bien notées par les agences accréditées.
La solidité financière d’une compagnie d’assurance est jugée à l’aune des notes attribuées aux investissements de son portefeuille.
La dégradation d’un émetteur entraîne de fait une baisse de la valeur faciale d’une obligation et fait monter le taux d’intérêt associé.
Conséquence : les fonds d’investissement reglementés sont contraintes de les vendre. Une vente massive sur les marchés force les prix à la baisse. Ce qui se traduit par un taux d’intérêt plus élevé, ce qui met encore plus de pression sur les finances de l’emprunteur. On voit bien poindre le cercle vicieux.
Bien que la SEC ait 10 agences accréditées sur sa liste de chouchous, dont une canadienne et deux japonaises, les Big Three (S&P, Moody’s et Fitch) restent les trois agences par défaut.
Cela est notamment dû au fait que leurs notes sont accessibles à tous gratuitement. Car, voyez-vous, ces noteurs sont payés par les notés.
« Conflit d’intérêt ! », dites-vous ?
Assurément.
Comment attribuent-elles les bons points et les bonnets d’âne ?
Ok, les Big Three sont grosses et puissantes. Mais quelles sont leurs méthodes ?
Chez Standard & Poor’s, un comité de 5 à 8 personnes déterminent les notes. Ils fondent leur jugement sur des considérations financières et économiques, certaines dépendant directement de l’emprunteur.
Dans un communiqué, S&P a donné une longue liste d’indicateurs qu’elle est susceptible d’utiliser : économie, politique, reglementation, géopolitique, gestion, concurrence, etc.
A priori, ça couvre tous les paramètres. Mais depuis la crise des subprimes en 2007, ces agences ont fait l’objet de nombreuses critiques, certaines carrément hostiles.
Et pour cause. Des montagnes de titres de crédits hypothécaires pourris se sont vu attribuées la meilleure note possible (le fameux AAA) par les trois soi-disant experts mondiaux de l’analyse crédit.
Et l’incompétence des agences continue avec la crise des dettes souveraines. Un jour la dette est sûre. Le lendemain elle est « pourrie » et votre argent n’est pas en sécurité.
Il y a quelque chose de pourri au royaume des agences de notation.