Découvrez le parcours, l’expérience et le métier des professionnels exerçant dans les fonds d’investissement. Café de la Bourse vous invite à plonger dans l’univers de la finance de marché en interrogeant les hommes et les femmes qui y travaillent au quotidien.
Ce mois-ci, Sébastien Grasset, Directeur de l’Asset Management chez Auris Gestion, revient pour nous sur son activité, ce qui l’a poussé à faire ce métier, le fait le plus marquant de sa carrière, son indicateur préféré et son sentiment de marché actuel.
Sébastien Grasset, quelle fonction occupez-vous ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
Je suis Directeur de l’Asset Management et Membre du Directoire chez Auris Gestion. Je dirige les équipes de gestion de notre Pôle Asset Management ainsi que les services support et commerciaux. Cette vision généraliste me permet d’embrasser de nombreuses problématiques. J’ai occupé précédemment différents postes de direction générale au sein d’autres sociétés de gestion.
Les métiers de la finance, surtout lorsque l’on dirige une société de gestion, imposent une ouverture globale sur beaucoup de sujets : macroéconomie, marchés financiers, politique, géopolitique, enjeux sociétaux… Je pense que c’est certainement cette richesse de domaines qui m’a attiré vers la finance.
Quel est l’événement que vous considérez comme le plus marquant de votre carrière ?
La crise des subprimes et la crise de la dette européenne ont récemment marqué les esprits. Néanmoins, c’est évidemment la crise de la Covid-19 qui a été l’évènement le plus marquant selon moi. Le « Nous sommes en guerre » du Président Macron restera longtemps dans les mémoires. Avec mes équipes, nous avons plutôt bien piloté nos portefeuilles sous gestion, durant cette période compliquée, en veillant à capter au mieux les rotations factorielles et à remettre les gaz lorsqu’il le fallait. Nous sommes actuellement dans un paradigme de marchés marqué par une inflation forte et des banques centrales occidentales engagées dans une normalisation de leur politique monétaire. La crise ukrainienne et la politique « zéro Covid » en Chine ajoutent une pression supplémentaire sur les chaînes d’approvisionnement et sur le coût des intrants. Aussi, nous sommes attentifs, chez Auris Gestion, aux impacts sur la croissance mondiale (révisée à la baisse) et aux éventuelles erreurs de politique monétaire.
Quel est votre indicateur préféré et pourquoi ?
Il est difficile de désigner un indicateur de prédilection parmi l’ensemble des indicateurs que nous regardons avec mon équipe. En effet, nous avons développé un ensemble de tableaux de bord par zone géographique agrégeant différents indicateurs bruts et avancés ainsi que des indicateurs d’appétit pour le risque (comme le ratio put/call sur le CBOE ou encore les RSI absolus/relatifs, les bandes de Bollinger et la volatilité implicite sur les actions américaines). Nous sommes également attentifs aux flux de marchés. Nous regardons également différents indices de surprises économiques, qui précisent le niveau de surperformance des données macroéconomiques publiées par rapport aux anticipations des prévisionnistes (consensus).
Si je devais citer un indicateur, je dirais l’OECD Leading Indicators CLI Normalised SA. Cet indicateur composite avancé réalisé par l’OCDE est conçu pour signaler à l’avance les points de retournement des cycles économiques. Nous regardons également le Harpex Index. Il s’agit d’un indicateur composite des variations hebdomadaires du tarif du fret en conteneurs sur le marché de l’affrètement à temps pour huit catégories de porte-conteneurs différentes. Il constitue un bon indicateur de l’activité économique mondiale.
Enfin, sur les marchés actions, il nous semble important de s’attarder sur les prévisions de BPA même si l’impact du choc Ukraine/Russie avec la hausse des prix des matières premières ne nous semble pas convenablement reflété à date dans ces prévisions.
Quel est votre sentiment de marché actuel ?
L’ensemble des classes d’actifs « financières » a enregistré une correction significative depuis le début de l’année.
Des années de Quantitative Easing avaient permis de gonfler les valorisations des marchés actions, d’écraser complètement les taux d’intérêt souverains mondiaux et de comprimer par la même occasion les spreads de crédit. Nous avons assisté au cours de ce premier trimestre à l’inversion de ce processus.
Du coté des actions (données au 14 avril 2022), le MSCI World perd 7,6 % YTD, le S&P500 abandonne 7,2 % mais le Nasdaq – typé valeurs de croissance – corrige de 14 %. L’indice EuroStoxx 50 baisse, quant à lui, de 10,5%. Enfin, les actions des pays émergents cèdent 9,1 %.
Entre l’inflation galopante – supérieure à 7 % de part et d’autre de l’Atlantique – et le resserrement monétaire annoncé par les grandes banques centrales, les obligations n’ont pas tenu leur traditionnel rôle de valeur refuge. Les taux souverains mondiaux ont bondi à l’image du taux à 10 ans français, passé de 0,2 % en début d’année à quasiment 1,3 % aujourd’hui, ou de son homologue américain, passé de 1,5 % à 2,8 %. À titre d’illustration, un investissement dans la dette allemande ou américaine à 10 ans aurait ainsi enregistré à ce jour une perte supérieure à 7 %, soit autant que la perte enregistrée par le MSCI World ! Hausse des taux et écartement des spreads ont pesé sur les performances des indices crédit.
L’investment grade américain et européen cèdent respectivement 10,8 % (!) et 5,4 % et le crédit à haut rendement des deux zones lâche respectivement 6 % et 5 %.
Depuis le début d’année, seul le cours des matières premières a progressé. Outre le profond déséquilibre offre/demande, conséquence d’années de sous-investissements, l’invasion de l’Ukraine par la Russie est venue fragiliser plus encore ce déséquilibre. Le prix du baril de brent gagne ainsi 39 % sur la période et passe au-dessus des 100 USD alors que le gaz bondit de plus de 50 %. Ce mouvement d’appréciation ne se limite pas aux matières premières énergétiques puisqu’un indice de métaux industriels gagne 23 % et que celui des matières premières agricoles progresse de 25 %. De quoi alimenter plus encore les pressions inflationnistes obligeant les banques centrales à normaliser plus rapidement encore les politiques monétaires.
Quid de la croissance dans ce contexte ? Elle continuera mécaniquement de ralentir à cause de l’inflation qui pénalise le pouvoir d’achat et la confiance du consommateur mais aussi du fait du relèvement des taux d’intérêt par les banques centrales et plus particulièrement de la FED. Cette dernière a pour mission, à sept mois des élections de mi-mandat, de réduire l’inflation.
« Quoi qu’il en coûte ? » Pas sûr. La FED estime en effet que l’économie est assez forte pour absorber ces deux chocs et prévoit donc un atterrissage en douceur. Néanmoins, si on se fie à ses prévisions d’une inflation seulement transitoire en 2021, on se gardera bien de lui faire confiance. D’ailleurs au regard des dernières minutes de la FED, l’impact des hausses de taux conjuguées à la réduction rapide du bilan de l’institution devraient dégrader significativement les conditions financières aux Etats-Unis. De quoi fragiliser une nouvelle fois la crédibilité de la banque centrale en termes de prévision économiques.
De son côté, la BCE s’est montrée attentiste en avril, en validant à demi-mot la fin de l’APP pour le T3 et une hausse des taux « quelque temps » après la fin de l’APP, « quelque temps » pouvant signifier des semaines à des mois. Mais déjà des voix dissidentes au sein du conseil des gouverneurs se font entendre en faveur d’un relèvement des taux plus rapide, ce qui permettrait de limiter la dépréciation de l’euro et le renchérissement des importations.
Nos convictions du moment, dans ce contexte :
- LATAM (la zone retrouve la faveur des investisseurs et bénéficiera, à court terme, de la vigueur des prix des matières premières et, à long terme, d’un rapprochement stratégique avec les pays occidentaux nécessaire depuis la guerre en Ukraine) ;
- Oil&Gas (en l’absence de contraintes ESG, un positionnement sur le secteur reste adéquat. Le prix du baril reste élevé et les FCF sont énormes pour les majors avec des distributions généreuses aux actionnaires) ;
- Actions répondant au facteur « Quality » en Europe et défensives aux USA ;
- Positionnement sur le crédit High Yield européen et sur les obligations short duration aux USA ;
- Positionnement sur les subordonnées financières européennes (les conséquences de la guerre ont été intégrées et la baisse récente offre des opportunités sur les obligations ayant plus de beta).
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