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Les dessous du métier de gérant de portefeuille avec Philippe Chaumel de Groupama AM

Les dessous du métier de gérant de portefeuille avec Philippe Chaumel de Groupama AM

Découvrez le parcours, l’expérience et le métier de gérant de fonds d’investissement. Café de la Bourse vous invite à plonger dans l’univers de la finance de marché en interrogeant les hommes et les femmes qui y travaillent au quotidien.

Ce mois-ci, Philippe Chaumel, gérant actions européennes chez Groupama AM, revient pour nous sur son activité, ce qui l’a poussé à faire ce métier, le fait le plus marquant de sa carrière, son indicateur préféré et son sentiment de marché actuel.

Philippe Chaumel, quelle fonction occupez-vous ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?

J’occupe aujourd’hui la fonction de gérant actions européennes chez Groupama AM depuis juin 2021. J’ai découvert les marchés lors d’un stage effectué en 1986 chez Meeschaert Rousselle, agent de change, alors que j’étais en école de commerce. Ce stage se déroulait au sein de l’équipe des vendeurs, qui étaient à l’époque les nouvelles vedettes de la Bourse. Mais j’étais plus attiré par le travail d’analyste financier, métier également très récent à ce moment-là. L’équipe de Meeschaert était alors une des plus importantes et expérimentées de la place. Travailler sur les dossiers d’entreprises cotées d’un secteur me semblait plus intéressant que de vendre à des gérants des idées proposées par les analystes.

Après mes études, j’ai donc travaillé comme analyste chez Massonaud Fontenay, autre important agent de change de l’époque, et cette expérience a été fantastique. À l’époque, il n’y avait pas « d’Investor Relation », et les analystes interrogeaient directement les Directeurs Financiers ou les Présidents des groupes cotés. C’était une chance extraordinaire et incroyablement intéressante quand on débutait sa carrière professionnelle. Je me souviens encore de mes premiers rendez-vous à 23 ans avec Jacques Fournier, Président de Carrefour, pendant 2 heures sur un coin de table, avec un café. La parole était plus libre (les « ça je vous le dis, mais vous ne l’écrivez pas » se succédaient) et le travail d’investigation en était d’autant plus intéressant. J’ai travaillé en tant qu’analyste une quinzaine d’années, puis j’ai voulu passer de l’autre côté, gérer un fonds plutôt que conseiller des gérants. C’était une suite logique et tout aussi passionnante.

Quel est l’événement que vous considérez comme le plus marquant de votre carrière ?

Je pourrais citer le Krach d’octobre 1987. J’avais commencé un CDD comme commis sur le Groupe D de la Bourse de Paris le 1er octobre. Les échanges électroniques étaient encore en phase de rodage et l’essentiel des transactions étaient réalisées entre 12h30 et 14h30 au Palais Brongniart. Lorsque la crise a éclaté, même des acteurs expérimentés ont paniqué. La volatilité était incroyable. Le marché pouvait baisser de 8 % un jour et remonter de 7 % le lendemain. Des remisiers (des gérants de clients privés qui déposaient les fonds chez un agent de change et touchaient des remises en échange) ont perdu des fortunes en prenant des « portes de saloon ». Le chiffre considéré comme le plus important était le déficit commercial américain (les déficits jumeaux, budgétaire et commercial, avaient sapé la confiance des investisseurs dans l’économie américaine). Il sortait en cours de séance sur le seul Reuter du rez-de-chaussée du Palais Brongniart à l’opposé du Groupe D. Une rumeur, comme une onde, se déplaçait du Reuter, passait par la corbeille avant d’atteindre mon groupe de cotations.  On entendait les cris, mais on ne savait pas le sens avant que l’onde nous atteigne. Et les ordres tombaient, avec une réelle irrationnalité.

Si sur le plan humain, cette expérience a probablement été la plus forte, sur le plan professionnel, l’évènement qui m’a plus marqué est la crise de 2008. Lorsque l’on a une vraie gestion de conviction, donc souvent contrariante, il faut être patient, et parfois, le temps peut sembler très long. Lorsque j’étais co-responsable du centre de gestion avec mon ami Didier Bouvignies chez Rothschild & Cie, nous avions adopté des positions prudentes sur les marchés actions très tôt. La Banque Fédérale Américaine avait commencé à relever ses taux dès 2004 pour freiner les pressions inflationnistes. Des bulles immobilières étaient apparues un peu partout, aux États-Unis mais aussi en Espagne, en Irlande, en Asie …. Les marges des entreprises étaient au plus haut, le levier des bilans des banques également et le mirage d’une croissance des pays émergents forte et durable était ancré chez beaucoup d’investisseurs. Cela avait d’ailleurs entraîné l’idée d’un marché des matières premières entré dans un cycle haussier séculaire. Les positions dans les fonds sur des sociétés « value », défensives, avaient conduit à des performances décevantes. La chute du marché immobilier américain a provoqué une crise financière et entraîné une chute des marchés à partir de mi-2007. La surperformance des fonds durant la baisse du marché en 2008 a été spectaculaire, tout comme celle durant le rebond de 2009, portée cette fois par des titres « value » plus cycliques. Mais il avait fallu auparavant tenir les positions, contre vents et marées, résister aux pressions et patienter.

Consulter également notre article Krach : quelle stratégie pour performer en Bourse ?

Quel est votre indicateur préféré et pourquoi ?

Il est difficile de résumer les choses à un seul indicateur. Pour les entreprises, l’élément qui me semble le plus important est le jeu concurrentiel au sein d’un secteur. Il est souvent évoqué la croissance de l’activité à long terme. C’est ainsi qu’était justifiée l’idée qu’il fallait être investi sur les pays émergents avant la crise de 2008. La croissance économique était supérieure dans ces pays par rapport aux pays développés, donc il fallait privilégier des investissements dans ces zones. Pourtant le marché foisonne d’exemples qui montrent que le plus important ce n’est pas la croissance, mais le retour sur investissement, et ce dernier est guidé par le jeu concurrentiel. Pour rester dans les émergents, les grands distributeurs alimentaires européens comme Carrefour, Auchan ou Tesco, ont investi massivement en Chine à partir de la fin des années 1990 : l’élévation du niveau de vie des ménages chinois allait entraîner une énorme croissance de la consommation, donc il fallait ouvrir supermarchés et hypermarchés pour bénéficier de cette tendance. La consommation s’est bien envolée en Chine mais les surfaces commerciales également et les résultats ont été catastrophiques. Le jeu concurrentiel est plus important que la croissance du secteur : l’apparition d’une concurrence chinoise au milieu des années 2000 a tué les deux champions allemands malgré le boom des investissements. Il faut se méfier des idées apparemment attirantes conceptuellement mais qui n’ont pas de fondements solides en termes de retour sur investissements.

Sur le plan économique, l’évolution de l’emploi est probablement l’un des indicateurs les plus importants à suivre ces prochaines années. Ces deux dernières décennies, l’explosion du commerce mondial a conduit à de faibles pressions salariales. La concurrence du « Made in China » a conduit à une perte de pouvoir des salariés des pays développés et à des salaires en faible progression, en moyenne (les populations les plus éduquées, moins en concurrence, ont elles bénéficié de gains significatifs). Ainsi, la fin de la pertinence de la Courbe de Philipps a pu être annoncée (selon cette courbe, il existe un niveau de chômage à partir duquel on assiste à une accélération de la croissance des salaires). La fin des grands transferts de production vers les pays émergents, la montée progressive des salaires dans ces zones ou la volonté de rapatrier des productions dans les pays développés pourraient remettre en cause cette évolution. Après le sursaut lié à la pandémie, les taux de chômage retrouvent des niveaux extrêmement bas dans de nombreux pays.

Quel est votre sentiment de marché actuel ?



Tous les grands derniers retournements cycliques (1990, 2000 et 2007) ont été provoqués par le resserrement monétaire des banques centrales. Parfois, des éléments ont entraîné une amplification du cycle baissier, comme la bulle TMT en 2000 ou celle immobilière en 2007. La Banque Centrale Américaine devrait entamer un resserrement en mars prochain. Au cours des derniers cycles, les premières hausses des taux n’ont pas provoqué la fin du marché boursier haussier (début du resserrement en 2004, fin début 2006, retournement du marché mi-2007). Cela s’explique par le fait que les premières hausses de taux sont concomitantes avec une croissance encore soutenue et correspondent à une gestion prudentielle. D’ailleurs, le marché anticipe des relèvements en 2022 et 2023, mais sans interruption du cycle économique comme le traduit le marché obligataire (pente 2 ans / 10 ans positive de 60bp). Au cours des cycles précédents, les taux d’intérêt réels (taux courts de la Fed moins taux d’inflation) étaient montés à 3/4 %, alors que, pour le moment, les anticipations portent sur des taux réels proches de zéro. Sauf événement géopolitique majeur, la tendance haussière pourrait donc se poursuivre au cours des prochains trimestres. Toutefois, il faudra rester vigilant aux chiffres de l’emploi et à l’évolution des salaires. Si la progression de ces derniers est trop importante, la Fed devra resserrer plus qu’il n’est anticipé … il sera alors temps, comme en 2006, de se tourner vers des titres « value », défensifs, pour se protéger.

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